Lundi 14 janvier 2008 – Maison de l’Amérique latine autour de Milad Doueihi

« La Grande Conversion numérique », Seuil, « Librairie du XXIe siècle », 2008.

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Le numérique est aussi une histoire d’amitié..
J’ai rencontré Milad Doueihi le 13 avril 1992 à l’université John Hopkins à Baltimore. Dans mon agenda, à cette date-là, à côté de son nom – et ça ne s’invente pas – j’avais rajouté les mots : « ordinateur Next ». J’avais moi-même depuis 1987 un Mac mais je ne connaissais pas cette marque inventée par Steve Jobs, qui avait alors quitté Apple. C’est d’ailleurs sur un Next que Tim Berners-Lee a inventé le World Wide web .
L’ordinateur de Milad trônait au centre de son bureau à l’université comme un objet sacré sur son autel. Ainsi qu’il le raconte dans son livre , ses collègues de Hopkins passaient devant son bureau « intrigués et contrariés par un ordinateur qu’ils jugeaient envahissant. Comme si, commente-t-il, la culture numérique « n’était qu’une curiosité, du superflu sans rapport avec le « vrai travail » d’un chercheur. »
L’essai qu’il nous offre aujourd’hui est, écrit-il dans son avant-propos, une réponse différée à ce reproche académique ; il entend démontrer la pertinence d’une réflexion informée par le littéraireet par l’historique sur la nouvelle culture et l’environnement numériques.
Je me souviens, il y a donc presque 16 ans de cela, avoir été fascinée par la virtuosité avec laquelle M.D. se servait de son ordinateur mais surtout par son extraordianaire générosité. Un grand nombre de savants, préfèrent toujours garder leurs sources pour eux-mêmes ; comme les cuisiniers qui ne révèlent jamais leurs tour-de-main secrets. Milad, au contraire, est un chef coq talentueux et généreux comme il est un numéricien généreux, toujours prêt à offrir son expertise, à transmettre ses compétences, à « convertir » (entre guillemets) ses amis et connaissances aux nouvelles réalités, pratiques et outils de ce qui reste pour beaucoup d’entre nous le labyrinthe du web.
On pourrait dire que le numérique est dans une large mesure comme une course de relais où chacun transmet le « témoin », la flamme, au suivant ; les numériciens – surtout par hasard, comme se définit Milad, – les numériciens apportent la bonne parole et convertissent les amis de proche en proche ce qui permet d’abord de s’initier modestement puis, peut-être, de devenir soi-même actif dans cette nouvelle métropolis.
Milad m’a ainsi transmis dès cette époque la fièvre qui l’animait et les connaissances qu’ils accumulaient sur la toile naissante. J’ai moi-même, comme une dette à honorer, tenter ensuite de communiquer à mon tour cet enthousiasme à d’autres. Car ce nouveau savoir n’a pas d’école. On met entre les mains des gens un objet magique dont ils ne connaissent en général pas le « sésame ouvre-toi ! ». C’est pourquoi on a tous besoin d’un Milad ou d’un de ses avatars!
Dans mon agenda de 1993, à la date du lendemain de notre rencontre,le 14 avril, j’ai noté une autre mot, bien différent, à côté de celui de Milad Doueihi, c’est le mot « fauconnerie ». Il avait, en effet, sorti des rayonnages de sa bibliothèque à l’université, un magnifique traité de fauconnerie qui ne le passionnait pas moins que les arcanes du web . D’un côté l’ordinateur « next », de l’autre le traité de fauconnerie, c’est le grand écart ; ce qui est remarquable avec Milad Doueihi, c’est qu’il est un homme de tous les siècles et aussi du sien. Sa palette va des Pères de l’Eglise, à Leibniz, Bayle, Nietzsche, Spinoza, René Char, ou Borges mais aussi jusqu’à ce nouveau savoir-lire numérique dont les noms que j’ai entendu prononcé pour la première fois dans sa bouche sont, entre autres : nerd, wiki, open source, flickr, nuage de tags, podcast, ou encore ping ou blog,

Milad nous fait la démonstration dans son livre que les Anciens deviennent des Modernes et vice-versa. Prolongeant les réflexions de Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, rappelait que la polis grecque a créé un nouvel espace social entièrement neuf, centré sur l’agora, où le pouvoir ne réside plus dans le palais mais « au milieu », là où les citoyens peuvent débatrre de leurs opinions et de leur volonté commune. Milad se sert de ce modèle antique pour saisir la signification spatiale de l’environnement numérique, son symbolisme culturel, la richesse de ses nouvelles pratiques relationnelles. Cette métaphore politique me permet également de passer le relais à Edwy Plenel et aux amis de Mediapart (dont je suis). Le projet d’un journal indépendant électronique m’enthousiasme parce que c’est une initiative qui s’appuye sur l’idée, que l’espace virtuel de la Toile peut, pour la première fois depuis 25 siècles, offrir une réelle agora, c’est-à-dire un espace démocratique qui permette à chaque citoyen numérique de passer de la passivité à l’activité ou au moins à la participation, de quitter la verticalité du pouvoir pour l’horizontalité de l’échange et du partage.
Egalement empruntée à la ville, Milad Doueihi évoque une autre métaphore, double celle-là, qui oppose « la cathédrale » et le « bazar ». La « cathédrale » implique une autorité supérieure, détentrice d’un pouvoir unique, hiérarchique, orthodoxe, vertical, autoritaire ; le « bazar » , au contraire, décrit un environnement qui encourage la multiplicité des points de vue, des styles, des créations qui aboutit à la multiplicité, à l’horizontalité et à la tolérance.
Le web n’a pas quinze ans , Google est né il y a dix ans seulement, Wikipedia en 2001. Tout bouge à chaque instant sur la toile et Mediapart fait le pari formidable, le pari contemporain, de se saisir d’une révolution technique et culturelle pour réinventer une nouvelle manière d’informer, mais aussi de vivre ensemble.

http://www.mediapart.fr/blog/

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