ANTIQUITÉ
« C’est presque un lieu commun de rappeler que les Grecs n’ont pas connu ce que nous dénommons racisme. D’abord ils n’étaient pas assez instruits pour cela. Ils n’avaient pas appris à mesurer les crânes (…) il y a, il est vrai, un orgueil du Grec en face du Barbare : il tient essentiellement à ce que la liberté politique est une chose étrangère au second ; la distinction est profonde mais on ne peut pas dire qu’elle soit d’ordre biologique. »
Louis Gernet,
« Remarques sur une tradition antiraciste »,
(1943) in Les Grecs sans miracle, Maspero, 1983, p. 359-360.
Les Grecs ont donné à ceux qui n’utilisaient pas la même langue qu’eux le nom de Barbares. Au Ve siècle, pour Euripide , les Barbares se doivent d’obéir aux Grecs comme les esclaves aux hommes libres ; cette idée est reprise ensuite par Démosthène et Aristote. Mais, bien qu’il n’y ait pour eux qu’une seule culture, la leur, que toute autre civilisation y soit inférieure, que le bien soit par essence grec et le mal conçu comme étranger et extérieur, les Grecs estiment cependant que le genre humain est un et que les différences entre peuples sont accidentelles.
Ainsi, à la fin du VIe siècle, un poète comique fait-il dire à un de ses personnages : « Quiconque est porté par le bien par nature, même si il est Nègre, est un homme bien né » et à la fin du Ve siècle, le sophiste Antiphon écrit : « Le fait est que, par nature, nous sommes tous et en tout de naissance identique, Grecs et Barbares ; et il est permis de constater que les choses qui sont nécessaires de nécessité naturelle sont (communes) à tous les hommes… Aucun de nous n’a été distingué à l’origine comme Barbare ou comme Grec : tous nous respirons l’air par la bouche et par les narines. »
Pour les Grecs, le monde barbare comprend les Perses, partenaires politiques, les Egyptiens, les Noirs et les Scythes. Ce ne fut qu’après la mort d’Alexandre le Grand qu’ils découvrirent réellement les Romains, les Celtes et les juifs. L’Égypte avait longuement retenu Hérodote parce que « les Egyptiens, dans la plupart de leur us et coutumes, se comportent à l’opposé du reste de l’humanité » mais aussi parce que certaines idées religieuses grecques « se situaient en réalité dans le sillage des Égyptiens ». Des Scythes, Hérodote soulignait qu’ils étaient « les plus récents des hommes ». Ce peuple nomade choquait par son mode de vie, tellement éloigné de celui des Grecs et des Athéniens en particulier. Quant aux noirs Ethiopiens, Hérodote les considérait comme « les plus grands et les plus beaux de tous les hommes ».
Selon certains auteurs, ce sont le climat, les eaux, le milieu géographique, l’alimentation et les mœurs qui ont fait les peuples différents les uns des autres et la notion de « Grec » n’est donc pas un concept ethnique mais culturel. Cette position implique de la part du Grec le refus de reconnaître l’identité culturelle de l’autre et pour l’étranger, la perte de son altérité s’il désire participer à la civilisation grecque, la plupart de esclaves étaient des Barbares, soumis dans leurs pays à des régimes monarchiques et despotiques, ce qui faisait d’eux, selon Aristote, des esclaves dès la naissance.
Rome, qui ne constituait pas une entité ethnique mais seulement une unité politique, désirait s’incorporer tout ce que les étrangers pouvaient lui apporter pour augmenter sa puissance. Le monde romain reste néanmoins conscient de sa supériorité et considère comme sauvages les peuples barbares de Gaule et de Germanie. Pour Sénèque, par exemple, le Barbare possède un ensemble complexe de défauts qui relèvent de la méchanceté et de la qualité inférieure de l’être : brutalité, grossièreté, prédominance de l’animalité, inculture, insociabilité, inhumanité, impiété, etc. Quant aux Noirs, des fresques et des vases les représentent dans un esprit de raillerie alors que le poète Properce estime pourtant qu’une femme noire dispose du même pouvoir de séduction qu’une femme blanche.
Au IIe siècle de notre ère, Apulée affirmera avec force : « Ce n’est pas au lieu de naissance, mais au caractère de chacun qu’il faut regarder ; ce n’est pas dans quel pays, mais sur quels principes s’est fondée son existence qu’il faut considérer ». (Apologie, 24).
Lecture
– H.C. BALDRY , The unity of Mankind in the greek Thought, Cambridge Univ. Press, 1965.
– Marie Françoise BASLEZ, L’Étranger dans la Grèce antique. Les Belles Lettres, 1984.
– François HARTOG , Le miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre. Gallimard, 1980.
– Arnaldo MOMIGLIANO, Sagesses barbares. Les limites de l’hellénisation. Maspero, 1980
– Maurice OLENDER, « Barbarophilie et sagesse grecque » in Le temps de la réflexion, n°1, 1980
– Léon POLIAKOV (éd.), Ni juif ni Grec. Entretiens sur le racisme, Mouton, 1978.
– Pierre SALMON, « Racisme » ou refus de la différence dans le monde gréco-romain » in Dialogues d’Histoire ancienne. t. VII, Besançon, 1984
– J.N. SEVENSTER, The Roots of teh Pagan anti-Semitism in the Ancient World. E.J. Brill Leyde, 1975.
– Pierre VIDAL-NAQUET, Le chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec. Maspero. 1981.
Cf. Autochtonie, Esclavage, Ethnocentrisme.