Aryen

ARYEN

Au début du XIXe siècle, les savants occidentaux se cherchent de nouveaux ancêtres du côté de l’Inde et des montagnes de l’Asie. En 1771, le Français Anquetil-Duperron part en Inde et ramène la traduction du Zend-Avesta, l’Anglais William Jones étudie le sanskrit et constate sa parenté avec le grec et le latin dès 1788. Le mythe d’une race aryenne allait bientôt enflammer l’Allemagne romantique.

Dans son Éssai sur la langue et la sagesse des Indiens (1808), Frédéric Schlegel décrivait avec beaucoup d’imagination des conquérants descendus de l’Himalaya pour coloniser et civiliser l’Europe. L’Inde était devenue le berceau des civilisations et le sanskrit, la première langue de l’humanité. Le but de cette réécriture de l’histoire était de gommer les ancêtres hébreux de l’Occident, représentés par les Juifs contemporains, en opposant les « Sémites »  aux  « Aryens » ou « Indo-Germains ».

L’indianiste, Christian Lassen, un élève de Schlegel, écrivait vers 1845 : «  Parmi les peuples caucasiens, nous devons certainement accorder la palme aux Indo-Germains. Nous ne pensons pas que cela est dû au hasard, mais nous croyons que cela doit découler de leurs talents supérieurs et plus vastes. L’histoire nous apprend que les Sémites ne disposent pas de l’équilibre harmonieux de toutes les forces de l’âme qui caractérise les Indo-Germains. La philosophie, elle aussi, n’est pas l’affaire des Sémites ; ils n’ont fait que prendre quartier chez les Indo-Germains, et encore seuls les Arabes l’ont-ils fait. Leurs représentations et leurs vues absorbent trop leur esprit pour qu’ils puissent s’élever avec sérénité vers la contemplation des idées pures… »

Confondant parenté linguistique et origine ethnique commune, ou « race » comme on commençait à le dire, le mythe aryen se nourrit des nouvelles découvertes de la philologie, de la linguistique et plus tard de l’anthropologie physique. Mais désormais les mots échappent aux savants. Ainsi, Max Müller, un spécialiste du sanskrit, après avoir fait des conférences au cours desquelles il évoquait l’avancée triomphante des Aryens, « les maîtres de l’histoire » se rétracta en 1872, en précisant : « Que de malentendus, que de controverses tiennent à ce qu’on conclut à partir de la langue, au sang, ou à partir du sang à la langue… Il existe des langues aryennes et sémitiques, mais il est antiscientifique, de parler, à moins de se rendre compte de la licence qu’on se donne, de race aryenne, de sang aryen, ou de crânes aryens. » Mais il était déjà trop tard. Le mal était fait. Les mots n’effacent pas les mots.

En France, Gobineau et Renan perpétuent cette confusion entre race, langue et religion. La politique s’étant emparée de ces catégories savantes, Renan, comme son ami Max Müller, fait marche arrière. Il déclare à la Sorbonne le 11 mars 1882 : «  De nos jours on commet une erreur plus grave : on confond la race avec la nation, et l’on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques, une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants ».

Invention à la fois académique et idéologique, ce mythe aryen, qui s’était développé dans l’Europe du XIXesiècle, inspira le régime nazi. Aussi absurde que cela puisse paraître, c’est l’appartenance à un groupe supposé « Sémite » qui a décidé, entre 1940 et 1944, de la mort de millions d’Européens. Mais que signifient les mots « sémitique » et « aryen » ?

Le mot « sémitique » renvoie d’abord à un groupe de langues parmi lesquelles on trouve l’hébreu, le syriaque, une des premières langues littéraires chrétiennes, et l’arabe. Quant au groupe de langues souvent dites « aryennes » au XIXesiècle, plus proprement dénommées « indo-européennes », elle recouvrent à quelques exceptions près, dont le hongrois et le finnois, les langues dispersées entre l’Inde et l’Europe. Là où l’ « indo-européen » est une notion essentiellement linguistique, l’usage idéologique du terme « aryen » renvoie aux théories racistes du XIXe siècle.

Pour ce qui est du mot àrya, il est attesté dans l’aire linguistique de l’ancien indo-iranien et désigne le terme que s’appliquent à eux-mêmes les hommes libres par opposition aux esclaves. Comme le rappelle Emile Benveniste, il est banal que le nom d’un groupe se donne à lui-même, pour se distinguer de ses voisins, affirme sa supériorité sur un autre groupe. Cependant, le même Benveniste précise, et conclut, à propos du thème ari, arya—, qui a entrainé tant de confusion : « On a souvent pensé à une relation de ari avec le préfixe ari — qui marque en sanskrit un degré éminent, et qui peut correspondre au préfixe grec ari — indiquant aussi l’excellence ; et comme à ce préfixe gr. ari se rattache probablement le groupe de àristos « excellent, suprême », on obtiendrait pour ari —, arya— un sens tel que « éminent, supérieur ». Mais rien n’impose ce rapprochement ».

Lecture

–       Émile BENVENISTE, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Vol. 1, Économie : parenté, société, Minuit, 1969, p. 369-373.

–       Maurice OLENDER, « Au sujet des Indo-Européens » in Archives de Sciences, Sociales des Religions, n°55/2 1983, p. 163-167.

–       Léon POLIAKOV, Le mythe aryen, Calmann-Lévy, 1971.

–       Salomon REINACH, L’Origine des Aryens. Histoire d’une controverse, E. Leroux éd., 1892.

–       Raymond SCHWAB, La Renaissance orientale, Payot, 1950.

–       Catherine WEINBERGER-THOMAS, « Les Mystères du Veda. Spéculations sur le texte sacré des anciens brames au Siècle des Lumières », in Purusàrtha 7, 1983, p. 177-231.

Cf. Antisémitisme, Broca, Chamberlain, Cinéma nazi, Ethnocentrisme, Génocide, Gobineau, Idéologie, Nazisme, Tsiganes, Vacher de Lapouge.

Une réflexion au sujet de « Aryen »

  • 4 janvier 2014 à 19 07 06 01061
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    Le rapprochement entre langue et religion a donc été instrumentalisé à des fins raciales. Et pourtant, langue et religion appartiennent aux toutes premières caractéristiques d’homo sapiens, de sorte que l’étude de leurs relations serait certainement fort intéressante. L’opprobre hérité du nazisme a-t-il barré ce champ de recherche? Sinon, pourriez-vous indiquer une bibliographie?
    Merci d’avance

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