Autochtonie (Racisme)

AUTOCHTONIE

Certaines cités grecques antiques revendiquaient le prestige et la noblesse d’avoir été fondées par quelque roi venu d’ailleurs, d’autres cités, au contraire, s’enorgueillissaient d’une origine plus rassurante : l’ancêtre fondateur était un héros autochtone, c’est à dire né de la terre qu’il a conquise (auto-chtôn). Ainsi les Athéniens se réclament-ils d’Erichthonios, que la terre d’Attique a jadis enfanté.

L’autochtonie du héros fondateur se transmet alors à ses descendants, ce qui justifie et légitime ensuite le lien des habitants de la cité avec leur terre : « L’origine de notre existence se fonde sur le droit ; nos ancêtres n’étaient pas, comme la plupart des nations, un assemblage de peuples de toute provenance ; ils n’avaient pas eu besoin, pour habiter la terre d’autrui, d’en chasser les occupants ; mais, autochtones, ils avaient acquis en un seul instant une mère et une patrie ».

(Lysias, Epitaphios, 17).

« Les bénéfices de l’autochtonie » sont importants pour les Athéniens et Nicole Loraux en a fait l’inventaire : fondement de la citoyenneté, exaltation de l’origine (ce qui offre à la démocratique Athènes les valeurs de l’aristocratie), exclusion de l’altérité — celle de l’étranger, du barbare, mais aussi celle des femmes, « cette problématique moitié de l’humanité, installée parmi les citoyens parce qu’il faut bien que les pères se reproduisent ».

Si les Athéniens ont pu réaliser ces « bénéfices de l’autochtonie », c’est en les maintenant sur le terrain du discours, de la rhétorique, de l’imaginaire. Il n’y ont puisé aucun argument pour mener une politique discriminatoire ou « raciste ». Tel n’est pas le cas d’autres sociétés, en d’autres temps de l’histoire occidentale.

Ainsi, une tradition impérialiste suédoise prétendait que la Scandinavie était « la fabrique du genre humain et la matrice des nations » parce que contrairement aux autres peuples d’Europe, tous immigrés, elle formait un peuple autochtone.

Les Allemands, à leur tour, reprirent ces constructions propres à exalter le nationalisme. Pour élaborer ce mythe d’une parfaite autochtonie, d’une pureté de « race », un texte de Tacite fut souvent utilisé : « Quant aux Germains eux-mêmes, je les croirais indigènes, et qu’en aucune sorte ni l’établissement d’autres peuples, ni les relations d’hospitalité, n’ont produit chez eux de mélange (…) Pour moi, je me range à l’opinion de ceux qui pensent que les peuples de la Germanie, pour n’avoir jamais été souillés par d’autres unions avec d’autres tribus, constituent une nation particulière, pure de tout mélange et qui ne ressemble qu’à elle-même. » ( La Germanie, II, 1 et IV, 1).

A ce fantasme d’un sol originaire pur s’ajouta le rêve de parler une langue pure, une langue-racine ; Leibniz pensait même que « le teuton a gardé plus de naturel que l’adamique ».

De la langue, l’accent se déplaça ensuite sur le « sang » comme garant de l’autochtonie et à la faveur du nationalisme moderne et du fascisme, ce vieux mythe des origines reprit corps pour légitimer l’enracinement des uns au détriment de l’exclusion des autres.

Lecture

–       Nicole LORAUX, « Les bénéfices de l’autochtonie » in Le Genre Humain, 3-4, 1982.

–       Léon POLIAKOV, Le Mythe aryen, Calmann-Lévy, 1971.

–       Jesper SVENBRO, « L’idéologie ‘gothisante’ et l’Atlantica d’Olof Rudbeck. Le mythe platonicien de l’Atlantide au service de l’Empire suédois du XVIIe siècle » in Quaderni di storia, 11, 1980, p. 121-156.

Cf.  Nation.

Article extrait du livre de Lydia Flem, Le Racisme, M.A. éd, préface de Léon Poliakov, 1985 (épuisé).

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