CAGOTS
Parmi les marginaux, les exclus de l’histoire, les « autres » mythiques, les cagots semblent être nés dans l’imagination des paysans médiévaux du sud-ouest de la France. Cette population mystérieuse, cette « race maudite » a été considérée jusqu’au XVIIe siècle comme formée des descendants de lépreux.
Le terme « cagot » apparaît au XVIe siècle mais la catégorie qu’il désigne semble exister depuis le XIe siècle. Agot en basque, gabet ou gézitain dans les Landes, ils ont été partout considérés comme des lépreux, des faux lépreux ou des lépreux qui s’ignorent, ce qui fait utiliser à Molière ce mot dans le sens de « hypocrite ».
Comme les lépreux, ils connurent le sort réservé aux exclus de la société. Ceux qui étaient désignés comme cagots devaient porter un signe distinctif : un morceau de drap rouge cousu sur la poitrine, en forme de patte d’oie. On leur demandait aussi de porter des chaussures pour que leurs pieds ne contaminent pas le sol et il leur était défendu de toucher les denrées alimentaires des marchés. Exclus de la communauté majoritaire, ils ne pouvaient porter les armes ni payer la taille ; tenus de vivre à l’écart des villages, ils pouvaient posséder des biens mais non de la terre. A l’Eglise ou au cimetière, ils devaient se tenir loin des autres hommes et seuls les mariages endogames leur étaient autorisés.
En 1683, un intendant de Louis XIV obtint que leur statut particulier fût aboli dans tout le sud-ouest. Malgré l’œuvre de la Révolution puis de la République, la rumeur semble encore toujours courir entre certaines vallées des Pyrénées.
Leur origine n’a jamais été élucidée ; certains chercheurs leurs ont prêté une ascendance arabe datant du VIIe siècle, d’autres en ont fait les derniers survivants des hérétiques cathares ou des Juifs. Des médecins ont cherché à détecter l’existence d’une tare héréditaire ; au début du XXe siècle, on revint même à l’ancienne thèse de la lèpre…
Peut-être faut-il, pour comprendre le pénible sort réservé aux « imaginaires » cagots, les replacer parmi la longue liste des marginaux de l’Occident médiéval : criminels, fous, mendiants, prostituées, hérétiques, infirmes, femmes, enfants, vieillards, bâtards, usuriers, étrangers ou autres monstres.
Comme l’écrit Jacques Le Goff, il s’agit pour une communauté insécurisée de contrôler ou d’exclure tous ceux qu’elle soupçonne de vouloir ou de pouvoir menacer son fragile équilibre. Une pensée manichéenne est typique pour les sociétés qui craignent pour leur identité, et certains individus ou certains groupes focalisent des obsessions qui semblent pouvoir se regrouper autour de quelques thèmes :
– la religion, ce qui stigmatise tous les hérétiques ;
– l’identité, d’où la condamnation des Juifs et des étrangers ;
– Le rejet de ce qui apparaît comme contre-nature ;
– Le besoin de stabilité physique et sociale, ce qui rejette parmi les exclus, vagabonds, les instables, les déclassées ;
– Le travail, longtemps méprisé, redevient une des valeurs de la société. Les tabous fondamentaux de la société médiévale dévalorisent certains métiers, pourtant, liés au sang (bouchers, mercenaires), à l’argent (usuriers), à la saleté (foulons, teinturiers, blanchisseurs,…) ;
– La maladie et le corps, lieu d’incarnation du mal, ce qui condamne les prostituées mais aussi les infirmes, les fous et les lépreux comme preuve vivantes du péché.
Et puisque la rumeur ne s’embarrasse pas de faits réels et qu’elle propose à l’impuissance et à la peur collectives le visage d’un bouc émissaire, on peut supposer que les cagots, reliés par des voies inconnues aux victimes de la lèpre, furent assimilés à ces êtres dangereux pour le corps social parce qu’eux-mêmes considérés comme marqués dans leur corps.
Lecture
– Christian DELACAMPAGNE, L’invention du racisme, Fayard, 1983.
– Jacques LE GOFF, « Les Marginaux dans l’Occident médiéval », Les Marginaux et les exclus dans l’histoire, Cahiers Jussieu n°5, Ed. 10/18, 1979.
Cf. Angoisse devant l’étranger, Corps, Dégénérescence, Moyen Age, Nature, Rumeur, Souillure, Visibilité.