CINÉMA NAZI
Les images véhiculées par le cinéma nazi ont servi, comme les autres mises en scène de la propagande du IIIe Reich, à façonner une nouvelle identité au peuple allemand, à marquer la mémoire collective, à justifier la guerre et le racisme.
Pour les dirigeants nazis, le cinéma devait s’intégrer au système national-socialiste comme « facteur de civilisation obéissant à l’idéologie du régime ». Fritz Hippler, directeur de la Section cinématographique au ministère de la Propagande de Goebbels n’en fait pas mystère : « Comparé aux autres arts, le cinéma, par sa faculté d’agir directement sur le sens poétique et l’affectivité — donc sur tout ce qui n’est pas intellectuel —, a, dans le domaine de la psychologie des masses et de la propagande, un effet pénétrant et durable. »
La « Loi du cinéma » du 16 février 1934 permet au régime d’orienter la production cinématographique et d’y appliquer la censure. Pour Goebbels, « les limites du concept de liberté individuelle se situent aux limites du concept de liberté de la race ».
Mille cinq cents longs métrages furent ainsi produits pour exalter « artistiquement » la « race », la « communauté », le « travail », « la volonté de défense », … Et bon nombre de ces films trouvent précisément leur force de persuasion dans leurs qualités artistiques.
Le premier film véritablement nazi fut celui de Hans Steinhoff, Hitlerjunge Quex (« le Jeune hitlérien ») dont le but était de fanatiser la jeunesse allemande et de l’engager à rejoindre les jeunesses hitlériennes pour y connaître l’héroïsme du sacrifice.
Leni Riefenstahl, , « l’égérie d’Hitler », filma les congrès du parti nazi à Nuremberg ; celui de 1933 inspira son moyen métrage Der Sieg des Glaubens ( « La victoire de la foi ») dans lequel elle cherche à magnifier la foule rassemblée et à en faire l’incarnation même du peuple allemand, du nazisme, de tout individu. On connaît bien sûr d’elle les films qu’elle a consacrés à la gloire du régime nazi sous ses couleurs olympiques de 1936 : Fest der Völker (« Les Dieux du stade ») et Fest der Schönheit (« Jeunesse olympique »), exaltation de la force, croix gammée omniprésente, Hitler souriant, … le nouveau régime hitlérien est présenté à la face du monde et le succès fut immense, Staline lui-même félicita de sa propre main la talentueuse cinéaste !
Films documentaires, de divertissement, de guerre, culte des grands hommes, quels que soient leur sujets, les films allemands de la période nazie se doivent de délivrer un message : héroïsme des ancêtres, de la jeunesse, des femmes que la guerre laisse seules, exaltation de l’esprit militaire, nécessité de la discipline, et bien sûr, haine des Juifs, présentés comme dangereux, préparant ainsi la légitimation du génocide.
Trois films soutiennent cette propagande antisémite : Les Rothschild (de Erich Waschneck, 1940), Der Ewige Jude, Le Péril Juif ( de E. Taubert, 1940), et le Juif Süss, réalisé par Veit Harlan et présenté pour la première fois le 24 septembre 1940.
Le Juif Süss est particulièrement intéressant à analyser parce qu’il présente une image du Juif d’autant plus dangereux qu’il est séduisant et masqué, ennemi camouflé dont le poison est supposé pouvoir s’infiltrer jusqu’au cœur même de la société allemande. Détournant un roman de L. Feuchtwanger à des fins de propagande raciste, ce film entend montrer comment les Juifs, tel Süss, désirent s’approprier le pouvoir et l’argent des « Aryens », mais — pire que tout — surtout souiller le sang « pur » des jeunes aryennes. La scène culminante du scénario est celle du viol de Dorothea ; Süss se trouve donc coupable de « crime racial », lointain écho de quelque meurtre rituel, accusation sans fondement mais qui donne le signal des persécutions contre les juifs. Selon le mécanisme projectif, ce délire paranoïaque, la fiction du Juif Süss légitime la réalité des violences et du génocide.
Ce fut l’un des grands succès commerciaux de la guerre, il fit 6,2 millions de marks de recettes, séduisant 19 millions environ de spectateurs d’Allemagne et des pays occupés. Partout il est présenté comme une œuvre d’art basée sur la vérité historique. « Le Parisien » du 21 février 1941 écrivait : « Ce film n’est pas un produit de l’imagination, mais correspond tout entier à des faits historiques qui sont plus dramatiques que tout ce que l’on peut imaginer ». Une ordonnance d’Himmler exigea même que « des mesures soient prises afin que l’ensemble des S.S. et de la police puissent voir le film Le Juif Süss dans le courant de l’hiver » (30.9.1940). Il fut également montré aux gardiens des camps de concentration et dans les territoires de l’Est, toutes les fois que se préparait une déportation ou une liquidation à l’intérieur d’un ghetto.
Lecture
– Francis COURTADE et Pierre CADARS, Histoire du cinéma nazi, Eric Losfeld, 1972.
– Marc FERRO, « Le film, une contre-analyse de la société, » in Annales ESC, janvier-février 1973.
– Régine Mihal FRIEDMAN, L’image et son Juif , Payot, 1983.
– Jean-Michel PALMIER, « Der Jude Süss de Veit Harlan, 1940 » et « Quand de braves gens se souviennent du Juif Süss… » in Eléments pour une analyse du fascisme, 2, Ed. 10/18, 1976, p. 293-318.
– Lily SCHERR, « Le Juif Süss » in Yod, revue des Études hébraïques et juives modernes et contemporaines, 2, 1976, p. 53-72.
Cf. Antisémitisme, Aryen, Désinformation, Fascisme, Génocide, Meurtre rituel, Nazisme, Projection.