COLONISATION

COLONISATION

Le racisme justifie le système colonial. Au nom d’une « nature inférieure » et de son « essence » immuable, exploitation et asservissement s’exercent contre les peuples vaincus et colonisés. La domination coloniale asservit les populations qu’elle soumet et les maintient dans les marges de l’humanité. Le Noir, le Jaune, l’Arabe ne sont pas des semblables. L’indigène est présenté comme un animal, un « sauvage », un « singe pervers et trompeur », une bête de somme. Sa servitude est expliquée par la fatalité de ses gènes de même que le « pouvoir civilisateur » est censé être inscrit dans le patrimoine génétique des colonisateurs. Une telle manière de penser était largement partagée et un homme de gauche comme Léon Blum pouvait en toute bonne fois déclarer en 1925 : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler au progrès réalisés grâce aux efforts de la science ou de l’industrie (…) Nous avons trop d’amour de notre pays pour désavouer l’expansion de la pensée, de la civilisation française ».

Pour Louis Dumont, le racisme colonial est lié à une société qui défend l’égalitarisme. Hiérarchie et égalité ne seraient pas mécaniquement opposées mais pour préserver l’exigence humaniste de l’unité du genre humain, une partie de celui-ci sera déclarée comme ne faisant pas partie des « races supérieures ».

De plus, la cruelle réalité de la colonisation est lointaine pour les citoyens de la métropole, on peut l’ignorer ou la transformer en objet d’exotisme, d’aventure, de littérature ou de mode. Sur les cartes de géographie, des taches roses font rêver les petits écoliers français aux « territoires d’outre-mer ». La violence du rapport colonisateur-colonisé ne les touche guère. L’autre est trop lointain, à la fois par la distance matérielle et la distance culturelle. De la prise d’Alger en 1830 à l’Exposition coloniale de 1931, un siècle de colonisation s’écoule dans l’ignorance radicale des peuple colonisés. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que débute la décolonisation : 1947 marque le commencement de la guerre d’Indochine et 1954 la guerre d’Algérie. Cette confrontation avec la réalité quasi-ignorée — ou refusée — de ces populations lointaines va marquer, parfois fort douloureusement, toute une génération. Le poète Bernard Noël a tenté d’écrire l’indignation et l’horreur devant les massacres, la déportation, la torture, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, mais « il n’y a pas de langue pour dire cela. Il n’y a pas de langue parce que nous vivons dans un monde bourgeois, où le vocabulaire de l’indignation est exclusivement moral — or, c’est cette morale-là sui massacre et qui fait la guerre. Comment retourner sa langue contre elle-même quand on se découvre censuré par sa propre langue ? »

La colonisation se voulait éternelle et se présentait comme légitime, elle semblait aller de soi et s’inscrire dans la pensée émancipatrice du siècle des Lumières. Et s’il est difficile pour le discours majoritaire de supposer une existence autonome au minoritaire, différente de celle qui lui est prêtée, il n’est pas plus aisé pour l’ancien colonisé de se déprendre de l’image que lui renvoyait le majoritaire, le dominant. Il lui faut retrouver le cours de sa propre histoire, son nom et sa complexité sous les stéréotypes qui l’ont enfermé. Ce masque pourtant, il avait été tenté de s’y reconnaître. « Car ce n’est pas l’un des moindres problèmes de la ‘condition’ minoritaire , note Colette Guillaumin, que d’être pris au vertige du masque que lui tend le majoritaire ».

A présent que l’empire colonial s’est effondré, d’autres réalités politiques et économiques s’inscrivent mais « l’histoire immédiate n’en finit pas de congédier l’histoire plus lointaine » (Georges Balandier). Ainsi, les problèmes posés par l’immigration maghrébine renvoient actuellement les Français à leur mémoire coloniale, de même que le souvenir de l’esclavage des Noirs a nourri et renforcé le racisme des Blancs à leur égard aux Etats-Unis.

 

Lecture

–       Michel ADAM, « Racisme et catégories du genre humain » in L’Homme, avril-juin 1984, p. 77-96.

–       Aimé CESAIRE, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955.

–       Louis DUMONT, « Caste, racisme et ‘stratification’ » in Homo hierarchicus, Gallimard, 1966, p. 305-323.

–       Frantz FANON, Les damnés de la terre, Maspero, 1961, préface de Jean-Paul Sartre.

–       Colette GUILLAUMIN, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Mouton, 1972.

–       Albert MEMMI, Portrait du colonisé, Payot, 1973, Préface de Jean-Paul Sartre.

–       Bernard NOËL, L’Outrage aux mots, précédé part Le Château de Cène, 10/18, 1975.

–       Pierre VIDAL-NAQUET, La torture dans la république, Ed. de Minuit, 1972.

–       ID., Les crimes de l’armée française, Maspero, 1975.

–       La revue L’Histoire a consacré un numéro spécial au « Temps des colonies », n°69 , 1984.

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