DRUMONT, Edouard (1844-1917)

DRUMONT, Edouard (1844-1917)

La France juive, publiée en 1886 par Edouard Drumont, représente sans doute une première synthèse des thèmes de l’antisémitisme moderne : héritage antijudaïque chrétien, anticapitalisme judéophobe populaire et thèses racistes de la nouvelle anthropologie physique du XIXe siècle. En plein mouvement nationaliste, le Juif devient le révélateur de l’identité nationale ; en sous-titre à son journal La libre parole, Drumont écrit quatre mots appelés à devenir un slogan célèbre : «  La France aux Français ».

Dans le sillage des théoriciens du mythe aryen, Drumont affirme que « la race sémitique, comparée à la race « indo-européenne, représente éternellement une combinaison inférieure de la nature humaine » (p. 7). Car, « le sémite est mercantile, cupide, intrigant, subtil, rusé ; l’aryen est enthousiaste, héroïque, chevaleresque, désintéressé, franc, confiant jusqu’à la naïveté » (p. 9).

Son antisémitisme va de pair avec un antilibéralisme, un anticapitalisme et un antimarxisme virulents. La France juive défend les valeurs de l’Ancien Régime, stabilité et force ; une société qui pouvait «  vivre tranquille et heureuse, sans connaître les guerres sociales, les insurrections, les grèves » (p. XIII). Pour lui, « maître absolu de la finance », le Juif est responsable de la misère des ouvriers, il est à l’origine de la déchéance de la petite bourgeoisie, il a détruit l’harmonie des rapports entre les classes.

Puisque les Juifs « ont crée une question sociale, on la résoudra sur leur dos » (p.136) et Drumont n’hésite pas à proposer ouvertement le massacre des Juifs après avoir préconisé qu’ils portent « une rouelle jaune » (p.157).

Comme Barrès, Drumont comprend, ainsi que le fait remarquer l’historien Zeev Sternhell, que la petite bourgeoisie, mal adaptée au monde moderne, menacée de glisser vers le bas de l’échelle sociale, victime du développement de la grande industrie et du grand commerce qui, ne répondant pas aux appels du marxisme ni de la démocratie libérale, présente le terrain le plus réceptif à l’antisémitisme et le plus mobilisable par lui.

Drumont s’emploie à implanter dans la conscience populaire une vision du monde démonologique : dans les coulisses de la politique, des forces de destruction minent les bases de la société française et chrétienne. Dans ce cas fantasme d’un complot, la figure du Juif, du franc-maçon ou de l’étranger incarne le mal, la menace, tout ce qui suscite la peur et dont on désire se protéger.

L’attribution de projets inavoués à l’adversaire est chose commune, note Z. Sternhell, à la droite catholique et à l’aile laïque du nationalisme. Ainsi, la France politique s’habitue à métamorphoser les luttes politiques, les difficultés sociales et économiques en un combat entre le Bien et le Mal. Depuis le krach de l’Union générale en 1882 et jusqu’à l’Affaire Dreyfus, la campagne antisémite et antimaçonnique prépare les Français à interpréter les évènements politiques et sociaux comme le résultat de forces occultes et malfaisantes.

Pour Drumont, le Juif « invente le socialisme, l’internationalisme, le nihilisme ; il lance sur la société qui l’a accueilli, des révolutionnaires et des sophistes, des Hertzen, des Goldberg, des Karl Marx, des Lasalle, des Gambetta, des Crémieux… » (p. 201). Et Drumont résume sa pensée : « Tout vient du Juif ; tout revient au Juif » (p. VI).  Il fonde en 1889 la Ligue antisémitique française qui recrute ses membres parmi la petite bourgeoisie droitière, certains milieux conservateurs catholiques et des survivants du boulangisme. Son nationalisme se lie à l’idée d’autochtonie : « Pour parler une langue, il faut d’abord penser dans cette langue (…), il faut avoir sucé en naissant le vin de la patrie, être vraiment sorti du sol ». (p. 30).

La seule force sociale intacte de la société française, c’est l’armée et Drumont ne cache pas son admiration pour l’état-major prussien lors de son entrée à Paris : « L’ensemble (…) était grandiose (…) Tout ce groupe respirait l’Allemagne féodale, l’âge de fer, le règne de la fonce, le moyen-âge militaire » (p. 395).

Comme on l’a souligné pour d’autres théoriciens du racisme, tel Gobineau par exemple, on retrouve presque toujours cette peur de la corruption et de la décadence, ce repli nostalgique vers un passé supposé paradisiaque, ces fantasmes paranoïaques de perte d’identité et de complot, ce rêve élitiste d’appartenir à une essence supérieure, cette manière de justifier « naturellement » la place de chacun dans la société et de rendre responsables des boucs émissaires plutôt que de faire face aux transformations de la société.

Lecture

–       Robert F. BYRNES, Antisemitism in Modern France, New Brunswick, Rutgers University Press, 1950.

–       Zeev STERNHELL, Maurice Barrès et le nationalisme français, Armand Colin, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1972.

–       Michel WINOCK, Edouard Drumont et Cie ; Antisémitisme et fascisme en France, Seuil, 1982.

Cf. Antisémitisme, Aryen, Autochtonie, Dreyfus, Gobineau, Projection.

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