ESCLAVAGE
Dans la Grèce antique, il fallait être de sexe masculin, adulte, au moins de père citoyen et de condition libre pour avoir droit au titre de citoyen. Exclus de la citoyenneté, les femmes, les enfants et les esclaves.
L’esclave appartient à son maître ; l’esclave est un homme qui « appartient à un autre » homme et cela par nature, explique Aristote (Politique, I). Sans âme ou presque, l’esclave est celui « qui n’a part à la raison que dans la mesure où il peut la percevoir, mais non pas la posséder lui-même ». Comme les animaux, les esclaves ne peuvent « qu’apporter l’aide de leur corps pour les besognes indispensables ». C’est un « instrument vivant ».
Depuis le VIe siècle, la société athénienne est esclavagiste, Rome depuis le IIIe siècle avant J.C. C’est le commerce et non la guerre qui est à l’origine de cette institution. Pour Moses I. Finley : « L’expérience, en dehors de la société considérée (Athènes ou Rome), d’un réservoir de travailleurs-esclaves potentiels où cette société (put) puiser systématiquement et à des conditions légales et culturelles parfaitement acceptables du point de vue institutionnel » était la condition nécessaire à l’esclavage.
L’esclave est l’entière propriété de son maître ; il est même exclu des liens de parenté. Ses enfants ne lui appartiennent pas et sont automatiquement esclaves sauf s’ils naissent après l’affranchissement de leur géniteur. Il semble que les esclaves affranchis pouvaient s’intégrer, au moins après une ou deux générations. S’il était juridiquement un outil doté d’une âme, on ne mit jamais en doute sa condition biologique humaine.
L’esclavage antique se maria à la démocratie sans choquer personne et paraît avoir été une institution fort solide puisque très peu de révoltes nous sont connues, en Grèce comme à Rome et si, au premier siècle de notre ère, le christianisme contribua à adoucir la condition des esclaves, il n’oeuvra pas pour sa disparition.
L’esclavage traversa les siècles et fit partie de la vie économique de l’Occident jusqu’au XIXe siècle.
L’empereur romain Constantin protégea par des lois les maîtres qui auraient frappé à mort leur esclaves ; des ordonnances papales et conciliaires au Ve siècle après J.C. empêchèrent que soient affranchis les esclaves appartenant à l’Eglise ; les puissances coloniales européennes épuisèrent la main-d’œuvre locale des Amériques, considérée comme « pure sauvage », puis déportèrent massivement des Africains « domestiquables » pour la remplacer…Et le trafic des Noirs déportés d’Afrique en Amérique ne sera, en effet, officiellement aboli qu’à la conférence internationale de Bruxelles en 1876. Et même si les philosophes humanistes du XVIIIE siècle s’indignent, le système ne continue pas moins à fonctionner. Rejetés hors de l’humanité, pareils à des animaux, les esclaves ne donnent pas mauvaise conscience aux colons. On oublie de les nourrir, on en abuse sexuellement, on les maltraite… « Je ne considère les nègres que comme des animaux servant à la culture » écrit Mercier de la Rivière en 1767.
L’histoire américaine est toute entière liée à l’esclavage. La déportation des Noirs se fait massivement au XVIIIe siècle ; ils sont environ 30 000 en 1715 et leur population ne cesse d’augmenter depuis que des razzias de prisonniers apportent au Nouveau Monde des Noirs arrachés à l’Afrique. Le maître a toute autorité sur son esclave mais la loi varie d’un état à l’autre. En Géorgie, par exemple, est puni d’amende ou du fouet toute personne de couleur, affranchie ou esclave, qui apprend à lire ou à écrire à un esclave. La Constitution américaine avait toléré à mots couverts « l’importation de telles personnes dont l’admission peut paraître convenable ». Sous Washington, huit états du Sud sont esclavagistes et se battent pour obtenir que leur soient remis les esclaves fugitifs qui ont pu passer au Nord.
Le mouvement abolitionniste, appuyé par les Quakers dès le XVIIIe siècle, prend une plus large extension à partir de 1835. Le conflit se durcit entre le Nord industriel adversaire de l’esclavage et le Sud agricole qui vit du coton et de l’esclavage. Onze Etats décident de quitter l’Union. Les Sudistes ouvrent les hostilités ; la guerre de Sécession durera quatre ans et s’achèvera par la capitulation du général Lee le 9 avril 1865. La victoire du Nord entraîne l’émancipation des Noirs en droit mais en fait les esclaves se retrouvent sans terre et démunis de tout, leurs maîtres ruinés. Lorsque l’occupation militaire du Sud par le Nord s’achève, la ségrégation entre Blancs et Noirs vient remplacer l’ancienne servitude.
Pour empêcher les anciens esclaves de voter, on interdit le droit électoral aux analphabètes mais en même temps on s’oppose à l’instruction des Noirs. De toutes les manières, les ségrégationnistes cherchent à établir des barrières entre Noirs et Blancs. C’est aussi en 1865 que naît dans le Tennessee le mouvement raciste Ku-Klux Klan.
1868 et 1870 : le Congrès américain vote l’abolition légale de l’esclavage mais l’intégration effective des anciens esclaves noirs ne se fait pas pour autant. Ce n’est qu’en 1954 que sera déclarée anticonstitutionnelle la ségrégation raciale en matière d’éducation et en 1957, le Congrès votera une loi pour protéger les droits civiques des citoyens noirs. La situation actuelle est encore loin de l’égalité prescrite par les lois.
« Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? »
Denis Diderot,
Supplément au voyage de Bougainville, II.
Lecture
– Angela DAVIS, Femmes, race et classe, Ed. Des Femmes, Paris, 1983.
– S.M. ELKINS, Slavery : a problem in American institutional and intellectual life, Chicago, 1959.
– Moses I. FINLEY, Esclavage antique et idéologie moderne, Ed. de Minuit, 1981.
– Gilberto FREYRE, Maîtres et esclaves, Gallimard, 1953.
– Yvon GARLAN, Les Esclaves en Grèce ancienne, Maspero, 1982.
– M. LENGELLE, L’Esclavage, PUF, 1967.
– François RENAULT et Serge DAGET, Les Traités négrières en Afrique, Karthala, 1985.
– A. de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique, Union générale d’Editions, 1963.