ETRANGER
« … C’était aussi beau qu’en carte postale. Ce n’est qu’après que j’ai vu que tout était noir de pollution (…) Pendant deux mois d’abord, la pelle et la pioche. Après, pendant dix-huit mois, le marteau-piqueur. J’avais vingt et un ans. Je pensais aux copains qui étaient restés là bas et qui m’avaient dit que j’avais de la chance d’aller apprendre la « modernité ». Quelle modernité ? (…) Je me suis trompé. Quand j’ai compris qu’en ayant choisi de venir ici, je m’étais laissé prendre à un piège, j’ai commencé à mordre mes doigts jusqu’à l’os, à serrer mes poings dans mes poches et parfois en les ouvrant, il y a des traces d’ongles sur mes paumes (…) Quand je suis ici, j’ai envie d’être là-bas ; quand je suis là-bas, j’ai envie d’être ici (…) Ici, on s’embrasse dans la rue, dans le métro. Quand je suis arrivé, ça me gênait, je regardais ailleurs. Je voyais ça comme une folie. Maintenant, ça ne me dérange plus mais j’ai appris qu’aimer, être amoureux, faire l’amour n’est facile que dans les films, au cinéma, à la télévision et dans les bouquins (…) La vie d’un immigré, c’est noir sur noir, un noyau de misère entouré d’un linceul. N’importe où il se trouve, il est rejeté. Rejeté par la société française, rejeté par sa société. Ces deux pôles sont comme un branchement électrique. Quelle est la phase, quel est le neutre ? Court-circuit au système nerveux. Plus les noyades dans la solitude, plus la souffrance battante et battante. L’ulcère. Une blessure, une plaie, une fissure. La solitude. »
Bouziane Zaid, extraits publiés
Dans Les Temps Modernes, mars-avril-mai 1984.
« L’étranger qui est-ce ? Il n’y a pas ici de définition suffisante. Il vient du dehors. Il est bien accueilli, mais selon les règles auxquelles il ne peut s’astreindre et qui de toutes manières le mettent à l’épreuve — au seuil de la mort. Lui-même en tirera la « morale » qu’il exposera à de nouveaux venus : ‘ Vous apprendrez dans cette maison qu’il est dur d’être étranger. Vous apprendrez aussi qu’il n’est pas facile de cesser de l’être. Si vous regrettez votre pays, vous trouverez ici chaque jour plus de raisons de le regretter ; mais si vous parvenez à l’oublier et à aimer votre nouveau séjour, on vous renverra chez vous, où dépaysé une fois de plus, vous recommencerez un nouvel exil. (Albert Camus, l’Étranger)’ L’exil n’est ni psychologique ni ontologique. L’exilé ne s’accommode pas de l’être, et pas davantage de renoncer à l’être, et pas davantage de se faire de l’exil une manière de résider. »
Maurice Blanchot,
Après coup
Ed. de Minuit 1983, p. 94.
La ballade des gens qui sont nés quelque part
C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages
Tous ces bourgs ces hameaux ces lieux-dits ces cités
Avec leur châteaux forts leurs églises leur plages
Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités
Et c’est d’être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis)
Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toutes sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours leurs musées leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu’à loucher
Qu’ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète
Ou du diable vauvert ou bien de Zanzibar
Ou même de Montcuq ils s’en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis)
Le sable dans lequel douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête on trouve pas plus fin
Quant à l’air qu’ils emploient pour gonfler leur baudruches
Leurs bulles de savon c’est du souffle divin
Et petit à petit voilà qui se montent
Le cou jusqu’à penser que le crottin fait par
Leurs chevaux même en bois rend jaloux tout le monde
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis)
C’est pas un lieu commun celui de leur naissance
Ils plaignent de tout cœur les pauvres malchanceux
Les petits maladroits qui n’eurent pas la présence
La présence d’esprit de voir le jour le jour chez eux
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire
Contre les étrangers tous plus au moins barbares
Ils sortent de leur trous pour mourir à la guerre
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis)
Mon dieu qu’il ferait bon sur la terre des hommes
Si l’on n’y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si Vous n’aviez pas tiré du néant ces jobards
Preuve peut-être bien de Votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis)
Georges Brassens.
(Disque Philips 9101 053)