EXOTISME

EXOTISME

« Il faudrait faire un jour l’histoire de notre propre obscurité, manifester la compacité de notre narcissisme, recenser le long des siècles les quelques appels de différence que nous avons pu parfois entendre, les récupérations idéologiques qui ont immanquablement suivi et qui consistent toujours acclimater notre inconnaissance de l’Asie grâce à des langages connus (l’Orient de Voltaire, de la Revue Asiatique, de Loti ou d’Air France) ».

Roland Barthes,

L’ Empire des signes,

Skira, Champs-Flammarion, p. 8. 1980.

Mode chinoise, art nègre, « turqueries », curiosité pour les Indes, les cultures « exotiques », ont toujours fasciné. Et le « bon sauvage » est une figure mythique de l’Occident cultivé, qui regarde ces peuples étranges, non pour en comprendre la réalité, mais pour s’interroger sur son propre statut de « civilisé ».

L’exotisme des peuples sauvages est domestiqué à usage interne. Les missionnaires veulent y retrouver l’esprit et les vertus naturelles des premières communautés de Chrétiens ; les humanistes et les libertins justifient leur idée d’une morale naturelle supérieure par ces peuples sans lois, sans prêtres, sans rois et néanmoins vertueux. On les suppose heureux parce que loin des méfaits de la civilisation. Ils révèlent la sauvagerie enfouie au sein de la civilisation mais surtout ils témoignent, aux yeux des Européens, des origines de l’humanité et de la civilisation. Pour le Siècle des Lumières, les cultures exotiques ne renvoient pas encore à une notion de nature fondamentale différente, d’essence biologique, comme ce sera le cas à partir de l’anthropologie physique du 19e siècle. Rien de plus rassurant, en somme, que l’étranger « exotique », qui,  dans ses contrées lointaines et sauvages, nous divertit et nous  offre des frissons de folklore et de dépaysement de bon aloi. Mais lorsque cet « exotique » devient voisin de palier, parle avec l’accent de « là-bas » et que de sa cuisine s’échappent des odeurs inconnues, les bons sentiments vacillent. Cet « autre », dont la différence n’est en réalité pas acceptée, amuse, étonne de loin mais inquiète dans la proximité. Plus intolérable encore lorsque « d’indien à plumes » il devient un semblable indifférencié, qu’il assimile jusqu’à se fondre dans la masse, tout en gardant néanmoins une part symbolique d’appartenance à sa culture d’origine. Il vient alors nourrir, bien malgré lui, les fantasmes de persécution, les craintes de complot et de trahison, des autochtones « bien pensants ».

Tout se passe donc comme si n’étaient supportables que l’étranger exotique, c’est-à-dire l’autre tenu à une distance maximum (maintien forcé dans la politique de l’apartheid ou le ghetto) ou l’assimilation totale, équivalente à la disparition de l’identité de l’autre (tel le désir politique de certains de voir la deuxième ou troisième génération d’immigrés disparaître au sein de la population pour ne plus s’en distinguer). Le narcissisme « des petites différences », dont parle Freud, semble susciter tellement d’angoisse chez certains qu’ils ne désirent plus qu’une chose, éliminer l’autre, celui qui provoque une telle « inquiétante étrangeté », une telle peur de perdre son identité par manque de frontières visibles et surtout étanches.

Lecture

–       Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Flammarion, 1977.

Cf. Identité, Visibilité, Xénophobie.

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