FASCISME

FASCISME

Le fascio désigne en italien l’attribut du licteur dans la Rome antique et le rassemblement en faisceau des fusils au repos. Mussolini lança en 1919 le mouvement des « faisceaux italiens de combat » dont l’idéologie était une négation de la démocratie, du régime parlementaire, de la pluralité des partis politiques : « le fascisme nie que la majorité, du seul fait qu’elle est la majorité, est capable de diriger la Société humaine. Il affirme que l’inégalité de l’humanité est immuable, bénéfique et féconde ». Le mot d’ordre du parti était « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ».

Le fascisme italien voulait créer uno stato totalitario, un État totalitaire. Alors que la deuxième guerre mondiale marqua l’affrontement entre régimes fascistes et antifascistes et que la défaite des puissances de l’Axe fut fatale au fascisme, c’est lorsque le communisme soviétique sembla menacer les démocraties occidentales, au moment de la guerre froide, que l’on commença à parler de totalitarisme et à voir dans cette catégorie politique un type de société qui engloberait aussi le fascisme et le national-socialisme.

L’État totalitaire se constitue autour de l’image de la société comme corps, comme « peuple-Un » et, ainsi que Claude Lefort l’analyse, comme « pouvoir-Un ». L’identification est présentée comme totale entre le pouvoir et la société ; l’espace social se doit d’être parfaitement homogène et tout parasite, tout élément étranger menace mais pose aussi l’identité du peuple. Il n’y a aucune référence à un tiers, à des puissances surnaturelles, à un principe éthique extérieur, qui limiterait l’arbitraire et la toute-puissance d’un tel pouvoir. Il tire de lui-même tous les droits et les « droits de l’homme » cessent donc d’avoir un sens dans sa logique. L’individu doit se fondre dans le corps social et le cors social se confond avec le parti unique. L’État à lui seul détient — c’est là du moins son « illusion politique » — tout l’espace de socialisation, d’organisation, de savoir et de droits.

Claude Lefort écrit : «  La logique du système lui interdit d’accueillir quelque opinion qui se fasse le signe d’une extériorité de la vie sociale par rapport au pouvoir, ou d’une altérité dans le social ». Toute division au sein du corps social est niée, il ne peut y avoir de séparation qu’entre l’intérieur et l’extérieur, le peuple et ses ennemis. D’un côté, l’Egocrate, comme l’a nommé Soljénitsyne, le Père suprême, le guide, le Duce, le Fürhrer, de l’autre, l’ennemi extérieur et le dissident intérieur, — reliés l’un à l’autre — comme incarnation de l’Autre maléfique et qu’il faut exterminer au nom de l’intégrité du corps social.

Pour idéologie fasciste, la nation est un bien sacré. En elle s’inscrit la cohérence politique, sociale mais aussi ethnique, et même « raciste » de sa population. Ses mythes reposent sur l’évocation fabuleuse d’un âge d’or purifié de tout élément étranger. Xénophobie et racisme ne sont pas des accidents de parcours mais s’intègrent logiquement dans son combat et sa conception politique.

L’idéal fasciste s’incarne dans la figure du guerrier, jeune, courageux et obéissant. Il lui faut « croire, obéir, combattre ». Le fascisme s’oppose à l’humanisme des Lumières et à l’individualisme critique ; créativité, raison, intellectualisme, égalité sont rejetés. Les valeurs prônées s’inscrivent au contraire du côté de l’instinct irrationnel, de la violence, de la solidarité grégaire, de l’attachement au sol, à la langue, au « sang » , à la « race ». Le peuple encadré par un unique parti se doit de communiquer dans un même culte du chef.

Cette forme de société rencontre sans doute les aspirations de ceux que la peur du nouveau effraye ; elle offre l’attraction du conformisme et de l’uniformité, la sécurité de la norme et la protection d’un univers organisé, hiérarchisé, sans questions et sans vide.

Elle semble aussi attirer des « intellectuels » nostalgiques. En 1979, deux normaliens n’hésitent pas à valoriser le « fascisme-mouvement », « courant d’idées qui dépasse ses réalisations » et qui a pour objectif, non seulement de changer les structures de la société mais également de « changer l’homme par l’éducation, non seulement intellectuelle, politique, morale, mais aussi et surtout biologique » (T. Buron et P. Gauchon, Les Fascismes, PUF 1979, p. 15) et de citer sans commentaires critiques un extrait de Mein Kampf, à titre de « document ». Ils ne craignent pas non plus de voir dans la politique de « l’espace vital » du national-socialisme allemand et la guerre universelle « les préalables à la mutation de l’homme allemand et, pourquoi pas, européen ». Et ils poursuivent ainsi : « Racisme bien sûr, aux méthodes haïssables et criminelles. Utopie peut-être, qui consiste à vouloir accorder définitivement l’homme à sa nature objective. Mais peut-on juger l’entreprise sur ce délai misérable de douze années, dont six de guerre et trois au moins de reconstruction, alors qu’après plus de soixante années on attend encore l’émergence de la société communiste idéale ? Pour qu’on pût en débattre, les nationaux-socialistes demandaient mille ans de répit. L’histoire n’a pas voulu attendre… » (p. 16)

La logique fasciste se projette dans un « avenir radieux », elle se veut rupture avec le passé et espoir futur, « mission terrestre » comme l’écrivit Vidkun Quisling, fasciste norvégien et ministre de la Défense de son pays en 1931-1932. Le fasciste est un révolutionnaire dans le sens où il désire briser l’ordre établi de la démocratie libérale, il est obsédé par un idéal de modernité et de jeunesse. Il veut façonner un homme nouveau taillé sur mesures, tels les SS hitlériens.

De nombreux pays on connu la tentation totalitaire, de la Belgique rexiste aux fascismes français de l’Action française ou du Parti populaire français avec Drieu La Rochelle, du fascisme portugais de Salazar aux dictatures militaires fascisantes de Turquie ou de la Grèce  de Metaxas ; l’Europe s’est laissé fasciner par le rêve d’un pouvoir fort, monolithique, fictivement unifié et cohérent.

Lecture

–       Jacques DROZ, Histoire de l’antifascisme en Europe (1923-1939), La Découverte, 1985.

–        Daniel GUÉRIN, Fascisme et grand capital. Italie – Allemagne, 1936, Gallimard, 1945.

–       Claude LEFORT, L’Invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Fayard, 1981.

–       Henri MICHEL, Les Fascismes, Presses universitaires de France 1977.

–       Michel OSTENC, Intellectuels italiens et fascisme (1915-1929), Payot, 1983.

–       A. TASCA, Naissance du fascisme, Gallimard.

Cf. Nation, Nature, Nazisme, Projection.

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