GENETIQUE

GENETIQUE

«  C’est dans les concepts biologiques que résident les derniers vestiges de transcendance dont dispose la pensée moderne »

Claude Levi-Strauss,

Les structures élémentaires de la parenté. (1949).

Science de l’hérédité, la génétique cherche à comprendre les lois qui déterminent la transmission des caractères d’une génération à l’autre, d’élucider l’origine des différences — entre les espèces ou  entre les individus appartenant à une même espèce — mais aussi d’étudier la distribution des gènes au sein des populations. C’est également l’objet de la génétique de décoder la structure et le fonctionnement de ce qui constitue l’unité de base de la transmission génétique, le gène.

Pour les généticiens, les êtres vivants présentent deux caractéristiques essentielles : la diversité et l’unité. Chaque individu est en effet unique, il est seul à porter des caractères qui s’expriment sous la forme de son phénotype : telle couleur de cheveux, de yeux, grain et couleur de la peau, forme de mains, du visage, des membres, dessin des sourcils, etc. Mais par ailleurs, tous les individus d’une même espèce ont en commun le même stock génétique. Ainsi, l’espèce humaine présente-t-elle à la fois une extrême diversité au sein des populations qui la constituent et une interfécondité qui en prouve l’unité fondamentale.

L’unité génétique de l’espèce humaine est beaucoup plus forte que ne le laissaient penser les classifications des anthropologues du XIXe siècle qui se fondaient exclusivement sur l’observation des morphologies les plus éloignées, négligeant de considérer la continuité qui les relie. La génétique actuelle permet d’étudier la diversité apparente des populations et de comprendre grâce à des mesures biochimiques et immunologiques, entre autres, l’unité du patrimoine génétique humain. Tout au plus, les différences, qui se sont inscrites dans les gènes des différentes ethnies, marquent-elles la trace des mouvements de population dans les temps préhistoriques ou protohistoriques, indiquant ainsi des repères pour une histoire culturelle de l’humanité.

A partir de la distribution des groupes sanguins et des variétés de protéines, des chercheurs ont pu mettre en évidence que la diversité génétique de l’espèce humaine est distribuée de manière remarquablement uniforme à l’échelle de la planète : 85 % de la variabilité génétique totale de l’espèce humaine s’observe entre les individus de toute population quelle que soit sa localisation sur la terre. Ce qui signifie qu’il peut y avoir plus de ressemblances génétiques entre un Français et un Tchadien ou un Chinois qu’entre un Français et son  voisin de palier. La génétique ne permet donc pas de faire des classifications hiérarchiques entre les êtres humains. S’il existe des ethnies, on ne peut en aucun cas parler de « races » humaines. Longtemps, c’est à la science biologique qu’on a demandé la caution d’autorité pour justifier les idéologies inégalitaires ; à présent, les scientifiques, conscients du rôle que certains continuent à vouloir leur faire jouer, refusent de se prêter à ces démonstrations qui veulent classer, les êtres humains en « races supérieures ou inférieures » selon des arguments biologiques.

Une observation attentive aurait d’ailleurs permis de constater l’absurdité d’un classement pertinent entre grands groupes homogènes. On rencontre, en effet, des populations à peau noire mais avec des cheveux blonds comme des Australiens ou des Mélanésiens ; des populations à peau blanche mais avec des caractères sanguins de « jaune » comme les Aïnous, etc.

Les généticiens ne sont pas eux-mêmes à l’abri d’erreurs guidées par des convictions extra-scientifiques. Ainsi n’est-ce sans doute pas un hasard si c’est justement un généticien d’Afrique du Sud, — un  blanc bien sûr — J.D. Hofmeyr, qui explique que la « race noire » est d’apparition plus récente que la blanche et que par conséquent les populations africaines n’ont jamais atteint un « haut degré de civilisation » et sont actuellement « moins aptes à la civilisation industrielle ».

On connaît les développements moralisateurs des sociobiologistes et l’utilisation par la Nouvelle droite de certaines théories au sujet de l’héritabilité du Q.I. Or, dans l’état actuel de la génétique, on ne peut pas constater de correspondance terme à terme entre, d’une part, un gène et son effet biochimique primaire ( la production d’une enzyme particulière, par exemple) et, d’autre part, son effet sur le comportement. En réalité, une multiplicité d’évènements intermédiaires séparent l’effet biochimique immédiat d’un certain gène de son impact sur le comportement, toujours hautement complexe.

La génétique contemporaine pose aussi de nouveaux problèmes éthiques. Les progrès actuels permettent de détecter un grand nombre d’anomalies génétiques responsables de maladies héréditaires. Ces examens de dépistage peuvent intervenir lors d’examens prénataux (ce « conseil génétique permet par exemple de donner des informations concernant les risques pour un couple de mettre au monde un enfant mongolien ou hémophile), ils peuvent se pratiquer par amniocentèse précoce sur une femme enceinte (l’avortement pouvant être envisagé) ou être effectués sur les nouveaux-nés (comme pour le dépistage précoce de la phénylcétonurie qui peut ensuite être évitée par un régime adéquat).

Cette nouvelle situation (sans parler de toutes les « manipulations génétiques » et autres bébés-éprouvettes ou nouvelles manières d’être conçus, portés et apparentés à ses géniteurs et éducateurs) force une réflexion sur la notion de « bons » et de « mauvais » gènes, d’« anomalie » et de « risques ». Où commence le choix individuel des parents, leur « confort » psychologique, leur droit d’accepter ou de refuser d’élever un enfant mongolien — mais pourquoi pas un enfant porteur d’un bec de lièvre — et quand s’agit-il au contraire d’une option politique et philosophique collective ? Qui peut en décider ? Ne va-t-on pas se laisser entraîner, malgré soi, ou manipuler, vers un eugénisme médical ? La stérilisation des débiles et des handicapés dans l’Allemagne nazie reste présente à la mémoire mais, s’ils paraissent plus discrets, les partisans de l’élimination des « tarés » et des porteurs de « mauvais gènes » existent néanmoins, souvent même parmi les plus hautes  autorités scientifiques. Sous prétexte de défendre un eugénisme positif, ils n’en préconisent pas moins l’élimination d’un grand nombre de nouveaux-nés. Ainsi Cecil B. Jacobson, l’un des pionniers de la technique de l’amniocentèse, pense-t-il qu’aucun parent n’aimerait mettre au monde un enfant qui devrait mourir du cancer à 40 ans et qu’il faudrait par conséquent proposer un avortement. Francis Crick, prix Nobel de physiologie et de médecine, est encore plus radical : Aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique (…) S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie ». D’autres veulent imposer à chaque couple qui souhaite procréer des examens génétiques qui donneraient ou non le « droit » de concevoir des enfants.

Pour la première fois dans l’histoire, la science peut offrir aux pires délires politiques les armes dont ils rêvent, la toute-puissance de modifier les hommes. Tous les abus peuvent s’incarner. Sous des apparences anodines, certaines sélections se sont déjà effectuées. Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis où, en 1983, six firmes pratiquaient des tests génétiques sur le personnel et cinquante-neuf firmes envisageaient d’y recourir. En 1980, un jeune Noire porta plainte contre un règlement, en vigueur depuis dix ans dans l’US Air Force, qui lui interdisait de devenir pilote parce qu’il était porteur d’une maladie du sang particulière.

Pierre Thuillier rapporte l’histoire inventée par un écrivain américain, un homme de science tente de produire un être humain à partir d’un gène de camionneur afin de créer « un camionneur qui dès qu’il aurait dépassé la limite de cent kilomètres à l’heure, s’arrêterait de lui-même pour s’infliger une contravention ».

Comme l’histoire du racisme l’a montré, ce sont presque toujours des flots d’encre qui précèdent les flots de sang, aussi ces déchaînements imaginaires pourraient bien former un jour notre réalité quotidienne.

Lecture

–       Watson FULLER (éd.), Responsabilité biologique, Hermann, 1974.

–       Ted HOWARD et Jeremy RIFKIN, Les Apprentis sorciers. Demain la biologie…, Ramsay, 1977.

–       Albert JACQUARD, L’Eloge de la différence, Seuil, 1978.

–       ID., Moi et les autres, Point Seuil, 1983.

–       Jacques-Michel ROBERT, Génétique, Flammarion, 1983.

–       J.P. ROGEL, «  La sélection génétique à l’embauche » in L’Etat des sciences et des techniques, Maspero, 1983.

–       Numéro spécial de La Recherche sur la génétique et l’hérédité, mai 1984.

Cf. Classification, Hérédité, Scientisme, Race.

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