GENOCIDE

GENOCIDE

Juridiquement défini par la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, à la suite de la Deuxième guerre mondiale et du génocide des Juifs et des Tziganes par l’état nazi, le concept de génocide signifie l’extermination de groupes humains entiers, crime collectif commis par un pouvoir d’État, en temps de paix comme en temps de guerre. Seuls les groupes nationaux, religieux, et ethniques sont pris en considération à l’exclusion des groupements économiques, culturels ou politiques.

L’actualité récente a remis en mémoire le génocide des Arméniens, premier génocide moderne, perpétré entre 1915 et 1917, au sein de l’Empire ottoman sur l’ordre du gouvernement Jeune-Turc pour faciliter la cohésion nationale. A l’occasion de la Première Guerre mondiale et prétextant qu’ils menaçaient la sécurité de l’armée ottomane, les dirigeants turcs décident la déportation et le massacre d’environ un million deux cent mille Arméniens de Turquie.

Ce sont d’abord les notables, les intellectuels et les membres de partis arméniens qui sont arrêtés, torturés et liquidés. L’ordre de déportation est ensuite affiché dans chaque ville ou village. Les hommes sont séparés des femmes et des enfants et fudillés en dehors des agglomérations aussitôt. Femmes, enfants et vieillards doivent rejoindre à pied le lieu supposé de rassemblement des déportés : Alep. En réalité, peu d’entre eux y parviendront. Sans alimentation, subissant pillages, exécutions des traînards, maladies, massacres au bord des fleuves ou le long des défilés de montagnes, ils meurent en cours de route ou à l’arrivée. Les fleuves charrient les corps souvent mutilés, des hommes sont pendus aux arbres, la partie orientale de la Turquie s’est transformée en charnier. Des observateurs occidentaux assistent impuissants à ce massacre. Les gouvernements de France, d’Angleterre et de Russie publient une note de protestation et déclarent tenir pour responsables les membres du gouvernement. Le gouvernement allemand ne cherche pas à exercer une réelle pression pour faire arrêter le génocide mais publie un rapport qui dénonce le programme d’extermination d’un gouvernement allié, cherchant ainsi à se disculper d’avance.

Le gouvernement turc ne reconnaît pas le massacre des Arméniens bien que la Commission des Droits de l’Homme ait publié un rapport sur « la prévention et la répression du crime de génocide » dont le paragraphe 30 note : « Passant à l’époque contemporaine, on peut signaler l’existence d’une documentation assez abondante ayant trait au massacre des Arméniens qu’on a considéré comme « le premier génocide du XXe siècle ».

Le « Tribunal des peuples », réuni à Paris le 16 avril 1984, écrit dans son rapport final : « A partir du 24 avril 1915, selon un programme précis, le gouvernement ordonne la déportation des Arméniens des vilayets orientaux. Une organisation spéciale est créée, elle est constituée de condamnés de droit commun, libérés des prisons, entraînés et équipés par le parti Union et progrès. Tout confirme l’existence d’un commandement centralisé qui contrôle le déroulement du programme (…) La déportation n’est en fait qu’une forme déguisée d’extermination ».

La sentence du Tribunal est donc claire : « L’extermination des populations arméniennes constitue un crime imprescriptible de génocide au sens de la convention du 9 décembre 1948… C’est aussi un crime international dont l’État turc doit assumer la responsabilité sans pouvoir prétexter, pour s’y soustraire, une discontinuité dans cet État » (Le Monde, 19 avril 1984).

Plus occulté encore, le massacre des Assyro-Chaldéens qui étaient au nombre de 400.000 environ en 1914 et dont 250.000 personnes furent déportés et tués ou moururent de faim et de misère par la volonté des Turcs et des Kurdes en 1915 puis en 1933 au nord de l’Irak.

Le peuple tzigane perdit environ 200.000 des siens au cours des massacres nazis. D’Allemagne, 30.000 Tziganes furent déportés à Auschwitz où ils furent exterminés au cours de l’année 1944 ; en Hongrie, dans les Balkans, en URSS où ils étaient très nombreux avant la guerre, ils furent exterminés par des « groupes d’action » chargés de les liquider comme « peuple asocial ». Déjà avant la guerre, certains voulaient éliminer ce peuple nomade : « Pour des raisons de santé publique et, en particulier, parce que les Tziganes ont une hérédité notoirement chargée, que ce sont des criminels invétérés qui constituent des parasites au sein de notre peuple et qu’ils ne sauraient qu’y produire des dommages immenses, mettant en grand péril la pureté du sang de la paysannerie et son genre de vie, il convient en premier lieu de veiller à les empêcher de se reproduire et de la contraindre au traval forcé dans des camps de travail, sans les empêcher cependant de choisir l’émigration volontaire vers l’étranger » écrivait le Gauleiter de la province de Styrie en août 1938 dans un mémorandum intitulé « la Question tzigane ».

« La solution finale de la question juive » par le régime nazi coûta entre cinq et six millions de vies humaines au judaïsme européen. Ce chiffre comprend les pertes par mort violente mais ne tient pas compte des décès par famine et maladie ni du déficit démographique dû à l’absence presque totale de naissances entre 1939 et 1945 ; il est en fait impossible de faire une statistique détaillée.

Déposant devant le Tribunal international de Nuremberg, Rudolf Hoess, commandant du camp d’extermination d’Auschwitz, avait déclaré y avoir tué deux millions et demi de Juifs. Dans les quatre autres camps de la mort, on compte six cent mille morts à Belzec, sept cent mille à Treblinka, trois cent mille à Sobibor et deux cent cinquante mille à Chelmno. En URSS, il y eut des « exterminations chaotiques », perpétrées par des groupes d’action SS, qui s’élèvent entre un million et demi et deux millions de victimes.

Au-delà de ces macabres statistiques, il y eut la volonté délibérée de supprimer un peuple tout entier. Cette décision politique prit forme avec les lois raciales du Nuremberg le 15 septembre 1935 « pour la protection du sang allemand et de l’honneur allemand » : « Pénétré de la conscience que la pureté du sang allemand est la prémisse de la perpétuation du peuple allemand et inspiré de la volonté indomptable d’assurer l’avenir de la nation allemande, le Reichstag a adopté à l’unanimité la loi suivante, qui est proclamée par les présentes :

« § 1. — Les mariages entre Juifs et sujets de sang allemand ou assimilés sont interdits…

« § 2. ­— Le rapport extra-marital entre Juifs et sujets de sang allemand ou assimilé est interdit.

« § 3. —  Les Juifs ne peuvent pas utiliser au service de leurs ménages des femmes de sang allemand ou assimilé âgées de moins de quarante-cinq ans (…) »

Fin 1936, un « Service des Questions juives » fut constitué auprès du Service de Sécurité et à partir de l’Anschluss de l’Autriche en mars 1938, les mesures antijuives se succèdent : déclaration obligatoire des biens des Juifs, obligation pour toute femme ou pour tout homme Juifs de se nommer « Sara » ou « Israël », tamponnage des passeports et pièces d’identité de la lettre « J ». En 1940 se fait jour le « projet Mad           agascar » de transférer quatre millions de Juifs dans cette île française. Le port de l’étoile jaune devient obligatoire le 1er septembre 1941. Dès le 16 octobre 1940, le ghetto de Varsovie fut crée pour rassembler un demi-million environ de Juifs de Varsovie et des environs. L’entassement y était terrible et les épidémies faisaient rage ; la famine était orchestrée par les Allemands dans le but délibéré d’exterminer.

Il semble que l’extermination des Juifs est décidée peu avant ou immédiatement après l’attaque contre l’Union Soviétique. « Nous sommes en particulier tellement engagés dans la question juive qu’il nous est désormais impossible de reculer. Et c’est tant mieux. Un mouvement et un peuple qui ont coupé les points derrière eux combattent avec beaucoup plus d’énergie — l’expérience le prouve — que ceux qui ont encore une possibilité de retrait » écrit Goebbels dans son journal intime à la date du 2 mars 1943.

A partir d’avril 1942, plusieurs camps de la mort commencent à fonctionner en Pologne. On commence à utiliser le « Cyclone B », insecticide à base d’acide prussique dans les chambres à gaz. A l’automne 1942, von Ribbentrop est chargé d’avertir les diplomates du Reich de faire « accélérer, autant que possible, la déportation de tous les Juifs d’Europe ». Dès cette époque aussi un commando spécial était chargé d’effacer les traces de ce génocide.

Conduits vers les crématoires, les déportés sont prévenus qu’ils « passeront à la douche et à la désinfection » ; des morceaux de savon sont distribués pour parfaire l’illusion. La chambre de gazage comportait parfois des imitations de pommeaux de douches encastrées dans le plafond. Par le toit le Cyclone B est introduit ; l’asphyxie des victimes durait de trois à dix minutes. Une demi-heure plus tard, un commando spécial de détenus entrait, coupait les cheveux des femmes et enlevait des cadavres dents en or, bagues et boucles d’oreilles puis les transportait dans des fours d’incinération. A Auschwitz, les cendres, d’abord jetées dans des fosses, furent ensuite chargées sur des camions et déversées dans la Vistule.

Quelques fonctionnaires seulement, des SS, des médecins, assistaient à ces massacres à la chaîne. Dans son journal, le docteur Kremer notait le 2 novembre 1942 : « Ce matin à trois heures, j’ai assisté pour la première fois à une action spéciale. En comparaison, l’enfer de Dante me paraît une comédie. Ce n’est pas pour rien qu’Auschwitz est appelé un camp d’extermination. 5 novembre 1942. J’ai assisté cet après-midi à une action spéciale appliquée à des détenues de camp féminin (Musulmane — détenues arrivées au degré dernier d’usure physique —), les pires que j’aie jamais vues. Le docteur Thilo avait raison ce matin en me disant que nous nous trouvons dans l’anus du monde, anus mundi. Ce soir vers huit heures j’ai assisté  à une action spéciale sur des gens en provenance de Hollande. Tous les hommes tiennent à prendre part à ces actions, à cause des raisons spéciales qu’ils touchent à cette occasion, consistant en 1/5 de litre de schnaps, 5 cigarettes, 100 grammes de saucisson et pain. 6-7 novembre 1942. Aujourd’hui, mardi, déjeuner excellent : soupe de tomates, un demi-poulet avec des pommes et du chou rouge, petits fours, une merveilleuse glace à la vanille. J’ai été présenté après déjeuner à…

Parti à huit heures du soir pour une action spéciale, pour la quatrième fois… »

Lecture

–       Gérard CHALIAND et Yves TERNON, Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, Complexe, 1980.

–        Gérard CHALIAND, Le Crime du silence, Flammarion, 1984, avec une préface de Pierre Vidal-Naquet.

–       La revue Esprit, « Arménie : le droit à la mémoire », avril 1984.

–       Nadine FRESCO, « Les redresseurs de morts. Chambres à gaz : la bonne nouvelle. Comment on révise l’histoire » in Les Temps Modernes, juin 1980.

–       R. HILBERG, The Destruction of the European Jews, Allen, Londres, 1961. Actes du congrès.

–       R.G. HOVANNISSIAN, The Armenian Holocaust, Cambridge (Mass), 1981.

–       Eugen KOGON, H. LANGBEIN et A. RUCKERL, Les Chambres à gaz, secret d’État, Ed. de Minuit, 1984.

–       Léon POLIAKOV, Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Calmann-Lévy 1951.

–       Gill SEIDEL, The Holocaust denial, inédit.

–       Yves TERNON, La Cause arménienne, Seuil, 1983.

–       Pierre VIDAL-NAQUET, « Un Eichmann de papier » in Les Juifs, la mémoire et le présent, Maspero 1981, p. 193-289.

–       Dossier de l’Holocauste, Paris, Grasset, 1979.

Cf. Indiens d’Amérique.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :