HAINE
« Se refusant à croire que les trois visages qui l’avaient toisé tout à coup dans la nuit avec mépris et fureur n’en voulaient qu’à son argent, il s’abandonnait au sentiment que de la haine s’était coagulée là contre lui et répartie en personnages ; et, tandis que les rôdeurs l’insultaient déjà grossièrement, il se réjouissait à l’idée que ce n’étaient peut-être nullement des rôdeurs, mais des bourgeois comme lui, tout juste un peu ivres, débarrassés des inhibitions encore attachées à sa figure de passant, et qui se d »chargeaient sur lui d’une haine en suspension dans l’air, tel un orage toujours près à éclater, sur lui comme sur n’importe qui d’autre ».
Robert Musil,
L’Homme sans qualités, Le Seuil, tome I, 7,
Traduction de Philippe Jaccottet.