IMMIGRATION
Aux migrations politiques ont succédé les migrations économiques, liées au marché international du travail. C’est devenu un fait structurel de la société industrialisée post-coloniale. Et bien que la crise frappe les pays occidentaux depuis 1974, les travailleurs étrangers continuent d’occuper les emplois délaissés par la main-d’œuvre nationale. L’Europe compte actuellement plus de douze millions d’immigrés dont quatre millions environ en France. Dépourvus de droits politiques, souvent lésés dans leurs droits sociaux, ils sont aussi souvent les boucs émissaires de la crise. On les accuse de « voler le pain » des Français, de s’enrichir sur le dos de la Sécurité sociale, etc., alors qu’ils sont essentiels à l’économie actuelle et que pour la seule année 1981 la Caisse nationale d’Allocations familiales a réalisé trois milliards de bénéfice grâce à la différence entre les cotisations payées par les immigrés et les prestations qu’ils ont effectivement touchées.
Sur quatre millions d’immigrés, on compte 1,4 million de jeunes âgés de moins de dix-huit ans nés en France ou arrivés avant l’âge de dix ans et qui, selon la loi, deviendront automatiquement Français à leur majorité. L’immigration a pris un caractère familial qu’elle n’avait pas, ce qui en change profondément le caractère. Dorénavant, il ne s’agit plus d’une population mouvante, animée de mouvements de flux et de reflux mais bien d’un groupe qui se stabilise et qui, pour une bonne part, ne songe plus au retour en terre natale.
Une enquête effectuée pour le M.R.A.P. par la SOFRES, du 25 janvier jusqu’au 4 février 1984, donne de précieuses indications sur l’opinion et les sentiments des Français à l’égard des immigrés. 44% de la population française côtoie des immigrés sur leur lieu d’habitat et 26% au travail ; la moitié déclare en avoir parmi leurs amis et un quart dans leur famille. Malgré cette relative proximité, 3 personnes sur 4 ignorent le poids réel de l’immigration, ils en surévaluent le pourcentage. La plupart des personnes interrogées pensent aussi qu’il y a proportionnellement plus d’immigrés aujourd’hui qu’en 1930, ce qui est inexact. Ceux qui estiment en trop grand nombre les étrangers appartiennent soit à l’extrême-droite, soit à la catégorie de gens qui sont dans une « proximité non choisie » avec ces derniers.
Parmi les différentes communautés d’immigrés vivant en France, ce sont les Européens (Espagnols, Italiens, Polonais et Portugais), avec les Antillais, qui sont considérés comme les mieux intégrés. Les immigrés d’Afrique sont jugés plutôt mal intégrés dans la société française et les Algériens avec les Gitans sont très nettement perçus par plus de 50% comme très mal intégrés. Mais qu’est-ce que l’intégration ? Et comment y parvenir ? Pour 43% des personnes interrogées, c’est une question de temps, pour 49%, au contraire, les immigrés sont trop différents des Français et n’arriveront pas à faire partie de la société nationale. Pour près de la moitié de l’échantillon, c’est aux immigrés de faire un effort pour vivre comme les Français ; au contraire, ce sont les plus jeunes, les plus instruits et les électeurs de gauche qui souhaitent voir les Français faire des efforts pour mieux accepter les immigrés.
La fréquentation « non choisie » d’immigrés provoque souvent des réactions défensives et hostiles à leur égard. En comparaison avec la moyenne, on estime plus fréquemment le taux d’immigration trop élevé, l’intégration impossible et on refuse plus souvent le droit de vote, le supérieur hiérarchique immigré, etc.
La question de l’immigration est un problème social, national, culturel, juridique, incontournable aujourd’hui pour plusieurs pays européens dont la France. Cette question de société s’inscrit, particulièrement dans le cas de l’immigration maghrébine, dans les suites de la décolonisation. Les souvenirs sont encore clairs, les blessures pas toujours cicatrisées ; la droite et l’extrême-droite n’hésitent pas à susciter les passions, et plutôt que de proposer des stratégies réalistes et lucides, utilisent des arguments racistes à des fins démagogiques et électoralistes. Les média jouent, à cet égard, un rôle ambigu ; l’énoncé « objectif » de crimes racistes, rarement suivi des procès et des condamnations qu’ils devraient entraîner, donne une connotation de fatalité inévitable, de tolérance ou d’indifférence face à ces faits. Entre 1971 et 1978, une cinquantaine de meurtres d’Algériens à été commise, le double même selon certaines sources. Moins fréquentes entre 1974 et 1981, les violences racistes redeviennent abondantes à partir de 1982. Aujourd’hui, le racisme tue en France.
Lecture
– Michel MARIÉ et Tomaso REGAZZOLA, Situations migratoires ou la fonction miroir Galilée, 1976.
– Michel MARIÉ, « De l’immigré-colonial à l’immigré-marchandise ou l’espace d’une amnésie ? » in Annuaire de l’Afrique du Nord, XX, 1981, p. 333-347.
– « L’Immigration maghrébine en France. Les faits et les mythes », n° spécial des Temps Modernes, mars-avril-mai, 1984.
– Sondage SOFRES commenté par Véronique de Rudder, in Différences, mars 1984.
Cf. Colonisation, Etranger, Seuil de tolérance.
Article extrait du livre de Lydia Flem, Le Racisme, M.A. éd, préface de Léon Poliakov, 1985 (épuisé).