« L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières (…) J’étais assis seul dans un compartiment de wagons-lits lorsque, à la suite d’un violent cahot de la marche, la porte qui menait au cabinet de toilette voisin s’ouvrit et un homme d’un certain âge en robe de chambre et casquette de voyage, entra chez moi. Je supposai qu’il s’était trompé de direction en sortant des cabinets qui se trouvaient entre les deux compartiments et qu’il était entré dans le mien par erreur. Je me précipitai pour le renseigner, mais je m’aperçus, tout interdit, que l’intrus n’était autre que ma propre image reflétée dans la glace de la porte de communication. Et je me rappelle encore cette apparition m’avait profondément déplu. Au lieu de nous effrayer de notre trouble, nous ne l’avions tout simplement (…) pas reconnu. Qui sait si le déplaisir éprouvé n’était tout de même pas un reste de cette réaction archaïque que ressent le double comme étant étrangement inquiétant ? »
Sigmund Freud,
« L’inquiétante étrangeté »,
in Essais de psychanalyse
appliquée, Gallimard, col. Idé
p. 163-210.
« Cet étranger n’est pas n’importe quel étranger, il ne provoque un sentiment d’étrangeté que parce qu’il est aussi mon semblable (…) Quand donc intervient l’angoisse devant l’étranger ? Quand l’autre est à la fois semblable et différent. C’est pourquoi je tiens pour fausse, ou en tout cas pour incomplète, l’idée admise selon laquelle le racisme témoignerait d’un refus radical de l’autre, d’une intolérance foncière aux différences, etc. Contrairement à ce que l’on croit, l’image du semblable, du double, est infiniment plus troublante que celle de l’autre ».
J.-B. Pontalis,
« Une tête qui ne revient pas »
in Le Genre humain, 11, 1984, p. 17.