ISLAM

Poitiers, Tolède, Vienne : les Européens ont l’habitude de raconter l’histoire des relations entre l’Occident et l’Islam de leur point de vue mais la perception musulmane de l’Occident et de ces évènements reste généralement méconnue.

Si, pour l’histoire occidentale la bataille de Poitiers en 732 est décisive puisqu’elle marqua la fin de l’expansion arabe, pour les historiens arabes du Moyen Age cette bataille est présentée comme un engagement mineur alors que leur défaite, à la même époque, à Constantinople, par contre, leur semble indiquer la fin de la première phase de la guerre sainte musulmane.

Lorsque la guerre sainte des chrétiens commença au XIe siècle, la civilisation islamique, déchirée par un schisme religieux et une lutte de pouvoir entre les califats rivaux, montrait des signes de déclin et n’offrit qu’une faible résistance. Mais l’influence des croisés sur les pays qu’ils occupèrent pendant près de deux siècles paraît extrêmement réduite. La civilisation musulmane, fière et convaincue de sa supériorité méprisait l’Europe chrétienne, terre aride et froide, peuplée d’infidèles ignorants et hostiles. Jusqu’au XVIIIe siècle, alors même que l’empire ottoman est mêlé aux affaires de l’Europe, ils parlent d’Anglais sans religion, de Français sans âme, de Hongrois de mauvais augure, de Russe pervers ou d’Allemands impitoyables, tous appelés « infidèles ».

Au cours des siècles, le monde occidental a proposé diverses façon de diviser le monde. Les Grecs partageaient les êtres humains en Grecs et barbares, les Juifs en Juifs et Gentils, les Chrétiens, en Chrétiens et païens,… les Musulmans, eux, divisaient le monde en deux : le Territoire de l’Islam et le Pays de guerre. Selon la Loi sacrée, formulée part les juristes à l’époque classique, un état de guerre obligatoire religieusement et légalement devait régner entre ces deux parties du genre humain. Il était permis, à condition d’obtenir un sauf-conduit, à un non-musulman de se rendre en Islam mais les Musulmans étaient découragés de visiter l’Europe. Le Coran prescrit, en effet, un principe de coexistence et de séparation (sourate 109) : « Dis : O ! Infidèles ! Je n’adorerai pas ce que vous adorez, vous n’êtes pas adorant ce que j’adore, je ne suis pas adorant ce que vous avez adorez, et vous n’êtes pas adorant ce que j’ai adoré. A vous, votre religion, à moi, ma religion ». Pour les Musulmans, les Juifs et les Chrétiens professaient des religions fondées sur des révélations authentiques mais dépassées et inférieures, aussi pour avoir le droit de pratiquer leur religion et de conserver leurs lieux de culte en terre musulmane devaient-ils reconnaître la primauté de l’islam et la suprématie des Musulmans. Ils devaient pour cela s’acquitter de taxes élevées et d’un droit de capitation. Pendant longtemps, ce sont ces Juifs et ces Chrétiens des pays musulmans qui servirent d’intermédiaires entre l’Empire ottoman et l’Europe, diplomates, traducteurs, marchands ou espions, tout commerce avec l’infidèle étant une tâche fort dépréciée.

Malgré l’importance qu’il représentait en tant que système politique et religieux concurrent, le monde chrétien n’excitait pas beaucoup la curiosité des Musulmans. En 1068, Sâ’id ibn Ahmad, cadi de la ville musulmane de Tolède en Espagne, écrivit un livre sur les catégories des nations. Il les répartit entre celles qui ont cultivé la science (Indiens, Perses, Chaldéens, Grecs, Romains et Chrétiens d’Orient, Egyptiens, Arabes et Juifs) et les autres. Parmi ces dernières, il respecte les Chinois et les Turcs mais rejette les barbares du Nord et du Sud. Les barbares du Nord de l’Europe « sont plus semblables aux animaux qu’aux hommes. Ceux d’entre eux, en effet, qui vivent très loin dans les contrées septentrionales, dans les régions comprises entre l’extrémité des sept climats et les confins du monde habité, connaissant une température glaciale, un ciel nuageux à cause de l’éloignement extrême du soleil par rapport à la ligne du zénith. De ce fait, leur tempérament est devenu nonchalant et leurs humeurs crues ; leur ventre à grossi, leur teint pâli ; leurs cheveux ont poussé. Aussi la finesse de leur esprit, la perspicacité de leur intelligence sont-elles nulles, l’ignorance et l’indolence dominantes, l’absence de jugement et la grossièreté générales chez eux… ».

Evidemment, depuis son avènement en Arabie au VIIe siècle, l’islam s’est presque continuellement heurtée à la chrétienté. Après la première vague de conquêtes musulmanes puis les Croisades et la reconquête chrétienne, ce sera l’avance turque puis à nouveau l’expansion européenne. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que les Musulmans pensèrent nécessaire d’étudier de plus près cette société européenne si étrange et dangereuse et ils y envoyèrent petit à petit des marchands, des ambassadeurs et des étudiants. L’introduction de l’imprimerie, la création de journaux et l’emploi d’instructeurs européens dans les écoles militaires de l’État ottoman rendirent plus aisés la connaissance et la diffusion des idées et des réalités occidentales. Entre 1822 et 1842, l’Egypte fit traduire 243 livres européens — mouvement sans équivalent depuis la traduction d’ouvrages grecs de philosophie et de sciences au VIIIe siècle — : traités militaires, de mathématique, de médecine, de science vétérinaire ou d’agriculture, textes sur Catherine de Russie ou Napoléon et même l’Histoire de Charles XII de Voltaire. Dorénavant les Musulmans acceptent d’apprendre les langues européennes, longtemps méprisées comme des idiomes barbares et insignifiants. Mais le passage de l’ancienne attitude de mépris à un sentiment d’intérêt pour les connaissances techniques et théoriques supérieures des Occidentaux se fit avec réticence. En 1838, un sultan réformateur turc fit ce discours à l’inauguration de la nouvelle école de médecine : « Vous allez étudier la médecine scientifique en français… Mon objectif en vous faisant apprendre le français n’est pas de vous enseigner cette langue, mais de vous enseigner la médecine scientifique et peu à peu de la faire entrer dans notre langue ».

Lecture

–       Bernard LEWIS, Comment l’Islam a découvert l’Europe, Ed. La Découverte, Paris 1984.

Cf. Autre, Moyen Age.

 

 

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