MEURTRE RITUEL

Plus de cent trente fois, du 12e au 20e siècle, l’Occident chrétien portera contre les Juifs l’accusation de meurtre rituel : meurtre d’enfant, dans un but religieux ou magique, avec consommation du sang mêlé au pain azyme ou, version dérivée, vol et percement d’hosties qui se mettraient ainsi à « saigner ».

Jamais aucun tribunal, aucune autorité, ne parvint à produire la moindre preuve de ces prétendus crimes ; quant aux « aveux », ils  n’ont été arrachés que sous la torture. Et pourtant, avec la logique implacable de la paranoïa sociale, ceux que l’on accusait d’être des assassins furent mis à mort et les communautés juives locales, à chaque fois spoliées et expulsées. Quelques papes tentèrent de s’opposer à ces accusations fort populaires (Innocent IV, Grégoire X, Paul III, Clément XIII) ; en 1422, par exemple, Martin V stigmatisa les calomniateurs en ces termes : « Pour rançonner les Juifs et pouvoir s’emparer de leurs biens et les lapider, beaucoup de chrétiens imaginent parfois des occasions et des prétextes et (…) répandent le bruit qu’ils ont mêlé du sang humain à leur pain azyme ». Ce qui n’empêchera pas l’Eglise de canoniser certaines victimes.

Ainsi, en accusant les Juifs de verser le sang des chrétiens alors que c’est la chrétienté elle-même qui se livrait à des persécutions et des violences sur le peuple juif, elle projetterait sa culpabilité sur ses victimes, s’en disculperait en même temps qu’elle justifierait ses exactions futures.

Comme l’analyse Francis Martens, « Les Juifs face aux chrétiens offrent par excellence, l’image de l’altérité du semblable. Le judaïsme est en effet la matrice di christianisme. Les deux se définissent en partie l’un par l’autre : les Juifs sont des « chrétiens manqués » qui n’ont pas su accueillir, dans le Christ, la parole de Dieu, les chrétiens sont des « Juifs dévoyés » qui n’ont pas voulu rester fidèles aux termes de l’Alliance — ceci bien qu’ils aient longtemps hésité à laisser la pratique de la circoncision, et conservé tout un temps l’interdiction rituelle du sang si fondamentale dans l’observance juive ».

Ainsi de 1144 en Angleterre à 1911 en Russie, l’Europe entière connaîtra environ un à deux procès pour meurtre rituel par décennie. Le Moyen-Orient ne fut pas non plus épargné et l’on pouvait encore lire dans un journal libanais, Al Hawadeth, le 24 décembre 1971, qu’à Pâques les Arabes de Jérusalem ne devaient pas laisser leurs enfants sortir dans les rues parce que « les Juifs n’avaient pas le droit de pétrir la pâte des azymes avec de la levure ou de l’eau, ils utilisent du sang chrétien dans ce but ».

Vatican II (1962-1965) fera enfin justice aux Juifs et les lavera de cette mensongère accusation de meurtre rituel. Le 17 novembre 1977 une plaque est apposée, dans la cathédrale de Bruxelles pour relativiser le « miracle » du Vendredi Saint de 1370. A cette date, la communauté juive de Bruxelles périt sur le bûcher pour avoir été accusée de profanation et de « saignement » d’hosties. Depuis peu, on a découvert que les taches qui maculent parfois les hosties sont produites par des colonies d’une bactérie appelée Bacillus prodigiosus secrétant un pigment rouge qui a une forte ressemblance avec le sang.

 

Lecture

–       Jean DELUMEAU, La peur en Occident, Fayard, 1978.

–       Thomas GERGELY, « L’affaire de Tiszaeszlar : un procès de meurtre rituel dans la Hongrie dite libérale de 1882 » in Problèmes d’histoire du christianisme, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1982, p. 27-61.

–       Francis MARTENS, « Le miroir du meurtre ou la synagogue dévoilée » in Racisme. Mythes et sciences, Bruxelles, Complexe, 1981, p. 61-72.

 

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :