MOYEN AGE

Bien qu’il n’en détienne nullement l’exclusivité, le Moyen Age a eu tendance à accorder un caractère diabolique aux « groupes extérieurs ». Dès qu’une situation menaçante et étrangère s’ajoutait aux conditions de vie déjà si troublées par la guerre, les disettes ou les mauvais princes, il était courant de voir l’imagination collective se réfugier dans le monde des fantasmes démonologiques. Ainsi lors de la Peste Noire (1348), après les pauvres, les riches, les lépreux et les prêtres, les Juifs furent soupçonnés d’avoir pollué les fontaines à l’aide d’un poison fait de crapauds, de lézards et d’araignées, symboles de l’ordure et du Diable.

Entre le XIe et le XVIe siècles , la prophétie apocalyptique et l’attente du royaume messianique exaltèrent les masses pauvres, déracinées dans des villes surpeuplées et coupées des relations sociales traditionnelles. Pour faire face à leurs sentiments d’insécurité et d’impuissance, ils se cherchèrent des chefs messianiques et se prirent pour des Saints guerriers.

Les deux Croisades de 1096 et de 1146 jetèrent les « pauperes » sur les routes de Jérusalem qu’ils rêvaient d’atteindre et de délivrer des mains musulmanes, ultime bataille avant l’anéantissement du Mal, purification avant l’avènement de la Nouvelle Jérusalem et du resplendissant royaume des Saints. Pour précipiter la réalisation de cet espoir messianique, ils pensaient nécessaire un vaste sacrifice humain, celui, volontaire, des Croisés, mais aussi celui des infidèles : musulmans en Orient et Juifs parmi eux. On laissait aux Juifs la possibilité de sauver leur vie et leurs biens en acceptant le baptême mais s’ils refusaient la conversion, on prétendait que celui qui les tuait était absous de tout pêché. Aussi, certains Croisés pensaient n’être pas dignes de partir en Croisade avant d’avoir au moins donné la mort à l’un de ces mécréants. Ainsi périrent des milliers de Juifs à Worms, Cologne, Trèves, Metz, Strasbourg ou Prague.

Ayant ainsi désigné aux Infidèles leur place dans le drame eschatologique, l’imagination populaire les chargea d’attributs démoniaques. Dès les IIe et IIIe siècles, les théologiens chrétiens prédisaient que l’Antéchrist serait un Juif de a tribu de Dan. Cette idée devint si courante au Moyen Age que même saint Thomas d’Aquin l’acceptait. Au Xe siècle, on précisa qu’il serait le rejeton d’une prostituée et d’un vaurien et qu’au moment de conception, le Diable pénétrera le ventre de la mère, ainsi l’enfant serait bien l’incarnation du Mal. L’iconographie traditionnelle représentait couramment les Juifs sous la forme de diables ornés d’une barbe et de cornes de bouc.

Face à face donc, se dressaient les bons fils, les saints chargés de purger la terre de ses démons et ceux-ci, images paternelles terrifiantes, accusés de forfaits imaginaires. La conviction que les Juifs procédaient au meurtre rituel d’enfants chrétiens, leur sang étant nécessaire à la confection du pain azyme pour Pâques, était si ancrée que les papes et les évêques furent impuissants à la déraciner. De même le récit selon lequel les Juifs fouettaient l’hostie avant de la poignarder renvoie à ce fantasme du mauvais père (juif) qui persécute le bon fils. Ces projections autorisaient évidemment de réels massacres.

La doctrine chrétienne des Pères de l’Église stigmatisait le peuple juif comme déicide et les papes prescrivaient l’isolation et l’humiliation des Juifs tant qu’ils ne se convertissaient pas mais cet antijudaïsme théologique influença peu le statut juridique et la vie quotidienne des Juifs au Moyen Age. Ce n’est qu’à partir de la Première Croisade que leur situation de détériora. En 1215, le Concile de Latran les obligea à porter des signes distinctifs, rouelle ou chapeau. A la fin du Moyen Age, on les condamna même à la réclusion au ghetto, quartier réservé dont les portes se refermaient sur eux chaque soir. Ils rejoignaient ainsi dans l’exclusion les sectes hérétiques : cathares, vaudois, illuminés rhénans mais aussi d’autres exclus sociaux, les lépreux et les fous. Le Moyen Age ne semble pas avoir eu de préjugés hostiles à l’égard des Noirs ou des Asiatiques.

La discrimination médiévale à l’égard des Juifs, des hérétiques ou des Infidèles n’est pas une forme de racisme au sens moderne du terme ; il ne s’agit nullement d’enfermer une catégorie d’êtres humains dans un groupe considéré comme biologiquement homogène. Le Juif n’est pas Juif par nature mais par religion, il lui suffit donc d’abandonner la foi de ses pères et de se convertir pour être dorénavant chrétien.

Il faut néanmoins relever une exception, celle de l’Espagne qui lors de la reconquête chrétienne, à partir du XIVe siècle, développa l’idée de pureté du sang ( limpieza de sangre). Le baptême ne pouvait effacer complètement la souillure originelle ; on se méfiait des nouveaux chrétiens par crainte de l’hérésie plus que par intolérance « raciale ».

 

Lecture

–       Norman COHN, Les fanatiques de l’Apocalypse, Payot 1983.

–       Jacques LE GOFF, « Le Juif dans les exempla médiévaux » in Le Racisme. Mythes et science, Complexe 1981, p. 209-220.

–       Luis SUAREZ FERNANDEZ, Les Juifs espagnols au Moyen Age, Gallimard, coll. Idées.

Cf. Antisémitisme ,Cagots , Ghetto, Islam, Meurtre rituel, Nature, Projection, Pureté de sang, Sorcellerie.

 

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