SCIENTISME

« Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas, d’une certaine façon et que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît ? Il y a des moments dans la vie où la question de savoir si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit est indispensable pour continuer à regarder et à réfléchir ».

Michel Foucault, L’Usage des plaisirs, Gallimard, 1984, p. 14.

Pour le scientisme, la science est porteuse d’une vérité absolue, quasi divine, elle est investie d’omniscience. Elle constitue non seulement le seul savoir authentique mais, de plus, elle est censée répondre à toutes les questions, y compris les choix politiques, moraux ou philosophiques qui agitent les hommes en société.

Dire d’une théorie ou d’un bien de consommation que « c’est scientifique », semble annuler, come par magie ou superstition, tout sens critique, toute réflexion ultérieure. Comme si la méthode scientifique n’était pas faillible, comme si elle ne procédait pas par doute et incertitude, comme si son rôle n’était pas avant tout de poser des questions, comme si surtout elle n’était pas l’histoire sans fin d’une succession d’erreurs et d’approximations, d’hypothèses et d’interrogations toujours ouvertes.

L’image d’une science « pure » et de scientifiques « neutres » et en-dehors des débats sociaux est naïve. La science s’inscrit dans le social, dans la vie quotidienne de chacun ; elle impose de nouvelles manières de penser et d’agir, renouvelle les normes : manipulations génétiques qui ouvrent de nouvelles possibilités en agriculture ou en médecine mais qui posent aussi de nouveaux problèmes éthiques en matière de reproduction humaine, par exemple ; techniques raffinées de guerre bactérologique ou de torture, bombes atomiques capables d’anéantir toute vie sur la terre, informatique et viol de la vie privée. Tout se passe comme si le progrès technique et scientifique était inéluctable et qu’il n’appartenait pas aux hommes de réfléchir et de trier, de choisir, parmi les possibles, les voies de son avenir.

Né au XIXe siècle, le scientisme reprend vigueur aujourd’hui. « Au nom de la science », on justifie des discriminations sociales et racistes : la sociobiologie parle de « code éthique génétiquement correct », le « quotient intellectuel » et le « seuil de tolérance » sont présentés comme des vérités « évidentes » puisque scientifiques, soi-disant ; la femme serait moins douée génétiquement que l’homme pour les mathématiques ou les Noirs moins habiles que les Blancs pour les exercices d’abstraction, l’eugénisme retrouve des partisans, etc. Préjugés, mépris et intolérances, engendrant exclusions et violences, lieux communs du racisme le plus quotidien habillés de neuf « au nom de la science », statistiques à l’appui.

La science occupe aujourd’hui, dans notre société, le lieu qu’habitait jadis la religion et sa caution divine. C’est à la science qu’on demande de révéler la vérité, comme si les hommes ne pouvaient se résoudre à en être d’éternels orphelins.

Lecture

  • Michael BILLIG, L’internationale raciste. De la psychologie à la « science » des races, Maspéro, 1981.
  • Maurice OLENDER, « Les Périls de l’évidence » in Le Genre humain. N°1, 1981.
  • Pierre THUILLIER, Contre le scientisme, postface du volume Le Petit Savant illustré, Seuil, 1980.

Cf ; Génétique, Quotient intellectuel, Race, Seuil de tolérance, Sociobiologie.

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