VICHY

« … Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir — pour combien de temps ? — un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer. Les rafles d’israélites, les séances de scalp dans les commissariats, les raids terroristes des polices hitlériennes sur les villages ahuris me soulèvent de terre, plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de fonte rouge ».

René CHAR,

Cité par M. Blanchot,

Le Débat, mars 1984, p. 28.

Le 27 août 1940, le gouvernement de Vichy abroge la loi Marchandeau qui punissait tout article de presse attaquant et excitant à la haine contre « un groupe de personnes qui appartiennent par leur origine à une race ou à une religion déterminée ». A partir de cet été 40, l’antisémitisme a légalement le droit de se répandre dans les colonnes des journaux français.

   Dès l’accession du Maréchal Pétain au pouvoir, des lois limitent aux citoyens nés de père français l’accès aux professions médicales et au barreau. Les naturalisations accordées depuis 1927 sont révisées et 6000 Juifs perdent ainsi leur nationalité française.

   Le 3 octobre 1940, un statut des Juifs leur assigne une condition juridique et sociale inférieure. Conçue par le ministre de la Justice Alibert, cette ordonnance introduit la notion de race et définit comme Juifs « tous ceux qui sont issus de trois grands-parents juifs, ou de deux grands-parents si son conjoint est juif ». Ce statut, renforcé par Vallat en juin 1941, fut utilisé par les nazis, lors des grandes rafles de 1942 ; donnant une définition plus large que celle des Allemands, le texte entraina un plus grand nombre encore de victimes dans la mort.

   La loi du 4 octobre 1940 autorise l’internement dans des camps spéciaux des « étrangers de race juive » et indique que « les ressortissants étrangers de race juive pourront en tout temps se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence ».

   « Les historiens, qui ont étudié les archives, n’ont pu déceler aucune trace d’instructions qui auraient été données au gouvernement de Vichy par les Allemands en 1940 pour lui faire adopter une telle législation antisémite. La stratégie « préventive » de Vichy fut revendiquée lors des procès pour collaboration après guerre, comme si les mesures antijuives françaises avaient pu dissuader les nazis d’en prendre de pires. Certains analystes de cette période de l’histoire voient dans ces réactions xénophobes et racistes l’écho de la défaite de juin 1940, l’indifférence dominante parmi les Français, le pouvoir personnel quasi illimité du Maréchal Pétain et les agissements de quelques antisémites convaincus dans l’équipe ministérielle de Vichy, mais surtout, en toile de fond, un antisémitisme largement ancré dans les mentalités.

   La première ordonnance allemande, du 27 septembre 1940, exige l’inscription de tout juif de la zone occupée sur un registre spécial. Dès la création du Commissariat Général aux Questions Juives, avec Xavier Vallat à sa tête, par la loi du 2 juin 1941, tout Juif qui ne se fait pas recenser risque la prison et l’internement, « même si l’intéressé est Français ». Pour compléter ces lois antijuives, la loi du 22 juillet 1941 relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux Juifs, étendait à la zone libre l’ « aryanisation » des propriétés juives. Elle permettait à l’Etat de les confisquer. Cette loi rencontra la première opposition sensible au sein du gouvernement, mais finalement, il adopta le projet à l’unanimité.

   Mais Vallat perdit peu à peu de sa crédibilité ; il avait échoué dans la réalisation de son principal objectif : substituer la loi française à la loi allemande et obtenir le retrait des ordonnances antijuives allemandes dans la zone occupée.

   Le 18 avril 1942, Pierre Laval revient au gouvernement, Darquier de Pellepoix remplace Vallat au Commissariat Général aux Questions Juives et le 30 juin, Adolf Eichmann vient à Paris annoncer que tous les Juifs de France devront être déportés.

   Le gouvernement de Vichy donne son accord à « la déportation, pour commencer, de tous les Juifs apatrides des zones occupées et non occupées » : au matin du 16 juillet, 9000 policiers français arrêtent 12884 Juifs à Paris qu’ils entassent au Vél’d’hiv’ ou internent à Drancy, d’où 67000 Juifs sur les 76000 qui seront déportés partirent pour les camps de la mort. Les enfants ne sont nullement épargnés, au contraire, les autorités fançaises proposèrent leur déportation, avant même que les nazis en donnent l’ordre. Plus de six mille enfants furent ainsi livrés à la mort à Auschwitz.

   A l’occasion du 8 mai 1984, le magazine l’Histoire publie les résultats d’un sondage réalisé par Louis Harris-France. On peut y lire la difficulté de la France à se situer face à Pétain et le partage se faire selon l’âge et l’appartenance politique. Pour les jeunes de 18/24 ans, le symbole de la Libération est représenté par un soldat américain salué par la foule. La condamnation de Pétain se chiffre à 51% dont 10 % à la peine de mort. Les plus de 65 ans par contre, voient dans la descente des Champs-Elysées par de Gaulle le souvenir marquant de la fin de la guerre. Seulement 20% d’entre eux condamnent Pétain, et légèrement. Les communistes se retrouvent dans l’image du résistant et condamnent Pétain à 49%, dont 13% à la peine capitale. Ils accordent aux Soviétiques une place importante (19%) dans la lutte anti nazie, alors que pour la moyenne de l’échantillonnage interrogé 6% seulement reconnaissent aux Soviétiques un rôle dans la Libération. En première position, c’est le général de Gaulle qui incarne la liberté retrouvée (47%) puis viennent les Américains (40%), les Français de Londres (15%), les résistants maquisards (19%) et après le régime soviétique, les Britanniques avec 4%.

   Les catégories socio professionnelles prennent des positions fort différenciées : autour d’une moyenne de 38% de condamnation du Maréchal Pétain, ce sont les cadres supérieurs et moyens les plus sévères (54 et 46% de condamnation) alors que les retraités, les petits commerçants et les agriculteurs préfèrent l’acquittement (avec 48%,42%  et 30%). Le nombre d’indécis est relativement élevé aussi bien chez les agriculteurs (47%) que chez les ouvriers (42%), ceux-ci condamnant le pétainisme avec 38%, comme la moyenne de l’échantillon.

   Du côté des formations politiques, l’image de Pétain reste aussi floue : l’UDF l’acquitte à 50% et le RPR hésite entre 37% de condamnation et 36% d’acquittement mais, les partisans de ces deux partis considèrent comme prépondérant le rôle joué par les Français de Londres dans la lutte contre le régime nazi d’occupation.

Lecture

  • Philippe GANIER-RAYMOND, Une certaine France. L’antisémitisme 40-44, Balland, 1975.
  • Michaël R. MARRUS et Robert O. PAXTON, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981.
  • Dominique ROSSIGNOL, Vichy et les Francs-maçons, J.C. Lattès, 1981.
  • L’Histoire, mai 1984.

Cf. Antisémitisme, Génocide, Nazisme.

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