Selon Voltaire, il faudrait être aveugle pour douter « que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains soient de races entièrement différentes » (Essai sur les mœurs, Introduction, II). Il est évident que « les blancs barbus, les nègres portant laine, les jaunes portant crin et les hommes sans barbe, ne viennent pas du même homme » (Traité de métaphysique). De même, la supériorité raciale des Européens lui paraît avoir un caractère d’évidence : ces « hommes me paraissent supérieurs aux nègres, comme ces nègres le sont aux singes et comme les singes le sont aux huîtres… » Si les Européens sont supérieurs à d’autres espèces d’hommes « naturellement esclaves », il ne faut donc pas s’étonner de leurs victoires sur ceux-ci. La conquête du Nouveau Monde et l’esclavage ne le choquent pas ; il admet un droit de colonisation, fondé sur la mise en valeur d’un continent que la « stupidité » de ses habitants avait rendu stérile jusqu’à la venue des Européens. Il n’hésita d’ailleurs pas à prendre des parts dans une entreprise de Nantes de traite des Noirs, placement fort rémunérateur …
Ainsi, l’anthropologie de Voltaire met en avant deux principes opposés : le principe d’identité qui veut que toutes les races humaines possèdent un même instinct, une même nature, et un principe de différenciation qui gouverne les inégalités puisque « la nature a subordonné à ce principe ces différents degrés de génie et ces caractères des nations qu’on voit si rarement changer ». Il justifie ainsi l’esclavage des Noirs : « si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande attention, ils combinent peu, et ne paraissent faits ni pour les avantages, ni pour les abus de notre philosophie. »
Pour cet homme des Lumières, l’histoire des hommes est en continuel progrès ; les peuples sauvages sont encore au stade de l’enfance de l’humanité alors que les Européens sont les missionnaires de la plus haute civilisation atteinte et c’est à ce titre qu’ils se doivent d’imposer le progrès aux autres hommes.
La phobie antijuive de Voltaire avait déjà frappée ses contemporains. Léon Poliakov a relevé dans son Dictionnaire philosophique une trentaine d’articles (sur cent dix huit) dénonçant les Juifs, « nos maîtres et nos ennemis, que nous croyons et que nous détestons » (article « Abraham »). L’article « Juif » est le plus long du dictionnaire ; à la fin de ses trente pages , Voltaire conclut ses propos violents en précisant qu’ « il ne faut pourtant pas les brûler ». Et Léon Poliakov de se demander si Voltaire fut antijuif parce qu’il était anticlérical ou, au contraire, si son combat contre l’infâme était animé par sa haine du peuple juif. Comme Elisabeth de Fontenay l’a souligné à propos d’un autre grand philosophe de la raison, Emmanuel Kant, les préjugés les plus communs ont été non seulement partagés par les esprits les plus critiques mais même érigés en concepts philosophiques. « Comme si le philosophe, par ailleurs ascétique dans sa volonté de rupture avec le savoir et le croire établis, s’oubliait tout à coup, et se réconciliait avec la sagesse des nations, pis, avec le sens commun : philosophia perennis ? »
Lecture
- Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au Siècle des Lumières, Flammarion 1977.
- Elisabeth de FONTENAY, « Sur un soupir de Kant », Le Racisme. Mythes et sciences, Complexe 1981, p. 15-29, (éd. M. Olender).
- Léon POLIAKOV, Histoire de l’antisémitisme, Calmann-Lévy 1968.
Cf. Colonisation, Esclavage, Lumières, Noirs.