Lydia Flem est représentée par la Galerie Françoise Paviot, Paris
Dans cette série de photographies, “Féminicide” (2016-2017) Lydia Flem revisite l’histoire de l’art occidental en mettant en évidence deux réalités qui coexistent à travers les siècles : l’exaltation de la beauté féminine et la violence faite aux femmes.
Une simple paire de ciseaux rouillés sert ici de dispositif formel, révélateur d’un nouveau concept juridique : le féminicide.
A Paris Photo 2017, trois photographies ont été accrochées par la galerie Françoise Paviot (Vermeer, Michel-Ange-Ingres). Tirage couleur à développement chromogène sur papier argentique ( taille 40×66,5 cm).
Lors de ParisPhoto 2018, la galerie Françoise Paviot a accroché la photographie “Féminicide, Artemisia Gentileschi”, sélectionnée dans le parcours “Elles X” de la commissaire Fannie Escoulen. Tirage couleur à développement chromogène sur papier argentique (taille 60×90 cm).
https://www.youtube.com/watch?v=ax8MZYmzbEk
Une après-midi de novembre 2016, une paire de vieux ciseaux à la main, (peut-être les avais-je trouvés en vidant la maison de mes parents), je travaillais à une série de photographies autour de l’écriture. Soudain le téléphone sonna. Maurice Olender me fit part de la préparation d’une soirée « Coïncidences » à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, autour du livre d’Ivan Jablonka, Laetitia ou la fin des hommes. Il me proposait, à la demande de l’auteur, d’y prendre la parole. À cette invitation, je pris le risque de répondre que je souhaitais à cette occasion créer une nouvelle série d’images.
Ayant raccroché, les ciseaux de papier toujours à la main, il me vint à l’idée de découper en zig zag quelques publicités de femmes vantant des parfums de luxe. Puis, j’aperçus une reproduction de la Fornarina de Raphaël qui se trouvait dans mon bureau ; j’y posai la paire de ciseaux ouverte encadrant son regard. Ensuite, j’ai cherché parmi les livres de ma bibliothèque, les visages iconiques des muses qui célèbrent la beauté idéalisée des femmes depuis des siècles, ces visages que tout le monde connaît et reconnaît : Vénus de Botticelli, Jeune fille à la perle de Vermeer, Flore de Rembrandt, Amies de Klimt, etc.
Sur de très banales reproductions de chefs d’œuvre de l’histoire de l’art occidental, j’ai posé mes ciseaux rouillés, avant de les photographier. Je revendique cette banalité de la forme parce qu’elle résonne avec la banalité du fond : ce mélange millénaire de l’exaltation de la beauté féminine et de la violence qui ne cesse d’être faite aux femmes parce qu’elles sont des femmes.
Artemisia Gentileschi : “Un coeur de César dans l’âme d’une femme” (extrait d’un texte paru dans la revue PO&SIE, n°162, 2018 )
Sous la protection de Galilée, savant rebelle et fin connaisseur des arts Artemisia Lomi Gentileschi, l’une des rares femmes peintres du XVIIe siècle, est admise, en 1616, à la prestigieuse Accademia delle Arti del Disegno à Florence. Née à Rome, en 1593, d’une mère tôt disparue et d’un père, Orazio Gentileschi, artiste estimé parmi les mille peintres que comptait la Rome baroque, Artemisia, la jeune pitturessa, ne manque ni d’audace ni de talent pour oser s’affirmer face à la domination du regard masculin. (…)
La jeune fille abusée, humiliée, trahie, torturée, telle que présentée dans les actes du procès, se métamorphose. Artemisia renverse son destin, elle invente sa propre vie. Ce qu’elle a toujours souhaité, elle le devient : une artiste, libre, maîtresse d’elle-même, bientôt célèbre dans toutes les cours d’Europe, qui se sert de son œuvre pour exprimer la valeur et la puissance créatrice des femmes. Sous les portraits des héroïnes de la Bible et de l’Antiquité, Artemisia impose son autoportrait : souvent parée de ses propres bijoux, en Judith trimphante, à l’instant de la décapitation du général Holopherne, l’épée encore sanglante à la main, en Yaël tuant Sisara, en Suzanne et les vieillards (l’un d’eux porte les boucles sombres du bel Agostino), en Sainte Catherine, coiffée de la couronne des Médicis, une palme dans la main droite, la gauche posée sur la roue, instrument de torture, … ou encore, impériale, en Clio, muse de l’Histoire, avec ses attributs, le livre, la trompette de la renommée et les feuilles de laurier tressées. Artemisia, qui porte le nom d’une déesse grecque, se peint sous les traits de Minerva, déesse de la guerre, de la sagesse et des arts, avec dans ses mains, la lance et la couronne de laurier, et sur son bouclier, un visage de Medusa, citation directe du chef-d’œuvre de Caravage, son seul maître. Peinte autour de 1635, cette Minerva est peut-être l’une des toiles envoyées à Ferdinand II de Médicis auquel l’artiste fait allusion dans sa lettre du 20 octobre 1635, adressée à son ami et protecteur, Galilée, désormais malade et en exil à Arcetri.
Envoyée discrètement à Londres pour encourager la conversion du roi d’Angleterre, sous le prétexte de se réconcilier avec son vieux père, Orazio, Artemisia peint un fascinant Autoportrait en Allégorie de la Peinture, ou La Pittura nell’atto di dipingere. L’artiste, audacieuse et confiante, se confond avec la représentation de la Peinture elle-même.
A.G.F. , Artemisia Gentileschi Faciebat.