Héritage

Le Monde des Livres du 26.03.04 Josyanne Savigneau
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EAUCOUP l’ont fait ou auront un jour à le faire : vider la maison des parents. Généralement, on n’en parle pas, sauf pour suggérer qu’on était solitaire et triste, ou au contraire qu’on a dû se battre comme dans l’enfance avec ses frères et soeurs, pour une table, une armoire ancienne ou un lot de petites cuillères en argent.Rares sont ceux, qui, comme Lydia Flem dans ce bref récit, Comment j’ai vidé la maison de mes parents (1), affrontent la réalité de cet acte, « vider », et non pas « ranger », donc d’une certaine manière « liquider ».Aussi rares ceux qui admettent que, dans ces moments, coexistent chagrin et colère, sentiment d’abandon et « joie sourde et triomphante d’avoir survécu », « mélange si difficile à vivre d’arrachement et de liberté ».

Qu’est-ce donc qu’hériter ? Recevoir, recueillir ou bien dépouiller, abuser ? « Comment puis-je recevoir des choses que l’on ne m’a pas données ? Mes parents vivants ne m’ont pas offert ce joli tapis d’Orient dont j’avais fort envie, pourquoi y ai-je droit à présent qu’ils sont morts ? », s’interroge Lydia Flem.

De cette indiscrétion – fouiller, seule, dans les tiroirs, dans les papiers, le courrier accumulé -, Lydia Flem, avec émotion mais aussi avec humour, fait un étonnant voyage dans l’existence de ses parents et dans la sienne. Si ces rescapés de la Shoah « avaient voulu tout conserver », « n’avaient pu se détacher de rien, rien jeter », c’est évidemment « parce que leur jeunesse avait été brisée par trop d’exils et de disparitions ».

Mais alors, comment s’ « inscrire dans une lignée chargée de morts partis en fumée, de familles massacrées en toute impunité » ? Qu’est donc cet héritage ? « Comment hériter de parents qui avaient fait de moi un garde-fou contre l’horreur, non pas leur enfant mais leur rempart ? »

Peut-être vaut-il mieux laisser la question en suspens et suivre avec bonheur Lydia Flem dans tous les lieux de cette maison bientôt abandonnée, à la recherche de parfums d’enfance, de la silhouette impeccable de sa mère – pas un cheveu ne dépassant de sa mise en plis -, de son « élégance un peu austère » dont témoigne toujours sa garde-robe. Elle aimait la mode, elle dessinait et cousait ses vêtements elle-même, elle avait le goût des couleurs et des matières – crêpe de Chine, soie sauvage, shantung, taffetas… Ses robes vont revivre sur quelqu’un d’autre, tout comme les objets que des étudiants sont venus récupérer, « fauteuils, sofas, chaises, tabourets, bols à punch, plateau à fromages »…

En exergue d’un chapitre, Lydia Flem a placé cette phrase de Primo Levi : « J’écris ce que je ne pourrais dire à personne. » C’est une parfaite définition de ce court texte : une femme a écrit, pour tous, ce que chacun ne peut dire à personne, et en prenant cette liberté, elle l’a donnée à beaucoup d’autres.

P/Josyane Savigneau

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Journal implicite 2008-2013

Journal implicite. Photographies 2008-2012, éd. Maison européenne de la Photographie/La Martinière, 2013.

« Ces photographies sont nées d’une nécessité : créer un monde imaginaire pour reprendre pied dans la réalité, transformer la douleur en beauté, l’aléa en élan. Animées par une démarche autobiographique, ces images forment la trace d’un journal de bord implicite, tenu au fil des mois. Comme tout rituel, mystérieux, précis, indispensable.
Il me faut composer des mises en scène éphémères, tels des songes, des jeux secrets qui en un instant pourraient contenir, enserrer, le tourbillonnement des sensations, l’excès des émotions. 

Assembler quelques objets à portée de main, trouvés au hasard d’une poche, d’un tiroir, sur le rebord d’une fenêtre, dans le désordre des jours et des lieux : jeu de cartes, mètre ruban, racine de gingembre, plume, clefs, loupe,…
Les disposer sur une surface : table, bureau, console, plancher.

Sans réfléchir – à la manière de l’écriture automatique des surréalistes – laisser surgir des dialogues, entre courbes et couleurs, diagonales et matières.

Mêler à cette “conversation des choses”, des mots, des chiffres, des symboles. Non pas natures mortes, mais Still life, tableaux vivants.

Photographier au plus près. Changer d’échelle, se laisser happer par une autre dimension du réel, s’engouffrer dans l’inconscient optique.

Ces photographies en chambre, – “de chambre” comme une musique – cherchent à gagner du terrain sur le désespoir du monde.

Avec pour allié le puzzle infini des combinaisons, peindre des vanités, modeler des autels fugaces, inventer des offrandes de survie : archives de l’intime dans le théâtre de l’histoire.»

Dans l’atelier de la Reine Alice
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