La vie quotidienne de Freud et ses patients à Vienne
Le 1er mai 1889, le docteur Freud[1] se rend au chevet d’une jeune aristocrate plongée dans la dépression depuis son récent veuvage, Fanny Sulzer-Wart, que lui a adressé son ami Joseph Breuer. Pour rejoindre la pension élégante où elle est descendue, il hèle sur la Ringstrasse une voiture tirée par deux chevaux, un fiacre, comme il se doit pour un médecin respectable. La jeune femme l’attend allongée sur un divan, la tête appuyée sur un traversin en cuir, et dès qu’elle l’aperçoit, s’écrie : « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas[2] ».
Freud n’a pas encore inventé la règle des associations libres pour le patient ni la règle d’abstinence pour le thérapeute. Il lui parle, la masse, la presse de questions. Après un moment, elle lui assène d’un ton bourru : « Il ne faut pas toujours me demander d’où provient ceci ou cela, mais me laisser raconter ce que j’ai à dire ! » « J’y consens », lui concède-t-il, impressionné par cette femme à l’intelligence vive, l’énergie « virile » et la grande culture.