Cf. Xénophobie.
Table d’écriture
MOYEN AGE
Bien qu’il n’en détienne nullement l’exclusivité, le Moyen Age a eu tendance à accorder un caractère diabolique aux « groupes extérieurs ». Dès qu’une situation menaçante et étrangère s’ajoutait aux conditions de vie déjà si troublées par la guerre, les disettes ou les mauvais princes, il était courant de voir l’imagination collective se réfugier dans le monde des fantasmes démonologiques. Ainsi lors de la Peste Noire (1348), après les pauvres, les riches, les lépreux et les prêtres, les Juifs furent soupçonnés d’avoir pollué les fontaines à l’aide d’un poison fait de crapauds, de lézards et d’araignées, symboles de l’ordure et du Diable.
Entre le XIe et le XVIe siècles , la prophétie apocalyptique et l’attente du royaume messianique exaltèrent les masses pauvres, déracinées dans des villes surpeuplées et coupées des relations sociales traditionnelles. Pour faire face à leurs sentiments d’insécurité et d’impuissance, ils se cherchèrent des chefs messianiques et se prirent pour des Saints guerriers.
Les deux Croisades de 1096 et de 1146 jetèrent les « pauperes » sur les routes de Jérusalem qu’ils rêvaient d’atteindre et de délivrer des mains musulmanes, ultime bataille avant l’anéantissement du Mal, purification avant l’avènement de la Nouvelle Jérusalem et du resplendissant royaume des Saints. Pour précipiter la réalisation de cet espoir messianique, ils pensaient nécessaire un vaste sacrifice humain, celui, volontaire, des Croisés, mais aussi celui des infidèles : musulmans en Orient et Juifs parmi eux. On laissait aux Juifs la possibilité de sauver leur vie et leurs biens en acceptant le baptême mais s’ils refusaient la conversion, on prétendait que celui qui les tuait était absous de tout pêché. Aussi, certains Croisés pensaient n’être pas dignes de partir en Croisade avant d’avoir au moins donné la mort à l’un de ces mécréants. Ainsi périrent des milliers de Juifs à Worms, Cologne, Trèves, Metz, Strasbourg ou Prague.
Ayant ainsi désigné aux Infidèles leur place dans le drame eschatologique, l’imagination populaire les chargea d’attributs démoniaques. Dès les IIe et IIIe siècles, les théologiens chrétiens prédisaient que l’Antéchrist serait un Juif de a tribu de Dan. Cette idée devint si courante au Moyen Age que même saint Thomas d’Aquin l’acceptait. Au Xe siècle, on précisa qu’il serait le rejeton d’une prostituée et d’un vaurien et qu’au moment de conception, le Diable pénétrera le ventre de la mère, ainsi l’enfant serait bien l’incarnation du Mal. L’iconographie traditionnelle représentait couramment les Juifs sous la forme de diables ornés d’une barbe et de cornes de bouc.
Face à face donc, se dressaient les bons fils, les saints chargés de purger la terre de ses démons et ceux-ci, images paternelles terrifiantes, accusés de forfaits imaginaires. La conviction que les Juifs procédaient au meurtre rituel d’enfants chrétiens, leur sang étant nécessaire à la confection du pain azyme pour Pâques, était si ancrée que les papes et les évêques furent impuissants à la déraciner. De même le récit selon lequel les Juifs fouettaient l’hostie avant de la poignarder renvoie à ce fantasme du mauvais père (juif) qui persécute le bon fils. Ces projections autorisaient évidemment de réels massacres.
La doctrine chrétienne des Pères de l’Église stigmatisait le peuple juif comme déicide et les papes prescrivaient l’isolation et l’humiliation des Juifs tant qu’ils ne se convertissaient pas mais cet antijudaïsme théologique influença peu le statut juridique et la vie quotidienne des Juifs au Moyen Age. Ce n’est qu’à partir de la Première Croisade que leur situation de détériora. En 1215, le Concile de Latran les obligea à porter des signes distinctifs, rouelle ou chapeau. A la fin du Moyen Age, on les condamna même à la réclusion au ghetto, quartier réservé dont les portes se refermaient sur eux chaque soir. Ils rejoignaient ainsi dans l’exclusion les sectes hérétiques : cathares, vaudois, illuminés rhénans mais aussi d’autres exclus sociaux, les lépreux et les fous. Le Moyen Age ne semble pas avoir eu de préjugés hostiles à l’égard des Noirs ou des Asiatiques.
La discrimination médiévale à l’égard des Juifs, des hérétiques ou des Infidèles n’est pas une forme de racisme au sens moderne du terme ; il ne s’agit nullement d’enfermer une catégorie d’êtres humains dans un groupe considéré comme biologiquement homogène. Le Juif n’est pas Juif par nature mais par religion, il lui suffit donc d’abandonner la foi de ses pères et de se convertir pour être dorénavant chrétien.
Il faut néanmoins relever une exception, celle de l’Espagne qui lors de la reconquête chrétienne, à partir du XIVe siècle, développa l’idée de pureté du sang ( limpieza de sangre). Le baptême ne pouvait effacer complètement la souillure originelle ; on se méfiait des nouveaux chrétiens par crainte de l’hérésie plus que par intolérance « raciale ».
Lecture
– Norman COHN, Les fanatiques de l’Apocalypse, Payot 1983.
– Jacques LE GOFF, « Le Juif dans les exempla médiévaux » in Le Racisme. Mythes et science, Complexe 1981, p. 209-220.
– Luis SUAREZ FERNANDEZ, Les Juifs espagnols au Moyen Age, Gallimard, coll. Idées.
Cf. Antisémitisme ,Cagots , Ghetto, Islam, Meurtre rituel, Nature, Projection, Pureté de sang, Sorcellerie.
MINORITE
Cf. Antisémitisme, Bouc émissaire, Burakumin, Cagots, Dégénérescence, Différence, Nation, Racisme, Seuil de tolérance, Sorcellerie ,Tziganes ,Visibilité.
MEURTRE RITUEL
Plus de cent trente fois, du 12e au 20e siècle, l’Occident chrétien portera contre les Juifs l’accusation de meurtre rituel : meurtre d’enfant, dans un but religieux ou magique, avec consommation du sang mêlé au pain azyme ou, version dérivée, vol et percement d’hosties qui se mettraient ainsi à « saigner ».
Jamais aucun tribunal, aucune autorité, ne parvint à produire la moindre preuve de ces prétendus crimes ; quant aux « aveux », ils n’ont été arrachés que sous la torture. Et pourtant, avec la logique implacable de la paranoïa sociale, ceux que l’on accusait d’être des assassins furent mis à mort et les communautés juives locales, à chaque fois spoliées et expulsées. Quelques papes tentèrent de s’opposer à ces accusations fort populaires (Innocent IV, Grégoire X, Paul III, Clément XIII) ; en 1422, par exemple, Martin V stigmatisa les calomniateurs en ces termes : « Pour rançonner les Juifs et pouvoir s’emparer de leurs biens et les lapider, beaucoup de chrétiens imaginent parfois des occasions et des prétextes et (…) répandent le bruit qu’ils ont mêlé du sang humain à leur pain azyme ». Ce qui n’empêchera pas l’Eglise de canoniser certaines victimes.
Ainsi, en accusant les Juifs de verser le sang des chrétiens alors que c’est la chrétienté elle-même qui se livrait à des persécutions et des violences sur le peuple juif, elle projetterait sa culpabilité sur ses victimes, s’en disculperait en même temps qu’elle justifierait ses exactions futures.
Comme l’analyse Francis Martens, « Les Juifs face aux chrétiens offrent par excellence, l’image de l’altérité du semblable. Le judaïsme est en effet la matrice di christianisme. Les deux se définissent en partie l’un par l’autre : les Juifs sont des « chrétiens manqués » qui n’ont pas su accueillir, dans le Christ, la parole de Dieu, les chrétiens sont des « Juifs dévoyés » qui n’ont pas voulu rester fidèles aux termes de l’Alliance — ceci bien qu’ils aient longtemps hésité à laisser la pratique de la circoncision, et conservé tout un temps l’interdiction rituelle du sang si fondamentale dans l’observance juive ».
Ainsi de 1144 en Angleterre à 1911 en Russie, l’Europe entière connaîtra environ un à deux procès pour meurtre rituel par décennie. Le Moyen-Orient ne fut pas non plus épargné et l’on pouvait encore lire dans un journal libanais, Al Hawadeth, le 24 décembre 1971, qu’à Pâques les Arabes de Jérusalem ne devaient pas laisser leurs enfants sortir dans les rues parce que « les Juifs n’avaient pas le droit de pétrir la pâte des azymes avec de la levure ou de l’eau, ils utilisent du sang chrétien dans ce but ».
Vatican II (1962-1965) fera enfin justice aux Juifs et les lavera de cette mensongère accusation de meurtre rituel. Le 17 novembre 1977 une plaque est apposée, dans la cathédrale de Bruxelles pour relativiser le « miracle » du Vendredi Saint de 1370. A cette date, la communauté juive de Bruxelles périt sur le bûcher pour avoir été accusée de profanation et de « saignement » d’hosties. Depuis peu, on a découvert que les taches qui maculent parfois les hosties sont produites par des colonies d’une bactérie appelée Bacillus prodigiosus secrétant un pigment rouge qui a une forte ressemblance avec le sang.
Lecture
– Jean DELUMEAU, La peur en Occident, Fayard, 1978.
– Thomas GERGELY, « L’affaire de Tiszaeszlar : un procès de meurtre rituel dans la Hongrie dite libérale de 1882 » in Problèmes d’histoire du christianisme, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1982, p. 27-61.
– Francis MARTENS, « Le miroir du meurtre ou la synagogue dévoilée » in Racisme. Mythes et sciences, Bruxelles, Complexe, 1981, p. 61-72.
LUMIÈRES
Curieux siècle que celui des Lumières où l’on voit l’exaltation de la tolérance et la foi en la perfectibilité humaine côtoyer le commerce des esclaves et les préjugés les plus communs à propos des Juifs.
Pour le XVIIIe siècle, toute inégalité au sein des sociétés est due à des différences individuelles, à l’influence du milieu géo-physique, mais en aucun cas au déterminisme biologique de la nature raciale qui fera fortune au siècle suivant. Au siècle des Lumières, on croit encore à la liberté et à la capacité de changement de l’être humain. Ainsi Jean Itard peut-il écrire dans son Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron : « Dans la horde sauvage la plus vagabonde comme dans la nation d’Europe la plus civilisée, l’homme n’est que ce qu’on le fait être ; nécessairement élevé par ses semblables il en a contracté les habitudes et le besoins ; ses idées ne sont plus à lui ; il a joui de la plus belle prérogative de son espèce, la susceptibilité de développer son entendement par la force de l’imitation et l’influence de la société ».
Entre 1750 et 1789, une attention particulière est portée au problème de l’esclavage. Le gouverneur de la Martinique donne des instructions : « Sa Majesté informée que la plupart des habitants des îles manquent au devoir si essentiel de nourrir leurs nègres recommande… la plus grande attention sur ces abus si contraires à l’humanité et aux intérêts mêmes des habitants ». Le Bureau des Colonies exige que les maîtres nourrissent les esclaves et leur accordent du repos en même temps qu’ils les tiennent dans la plus grande dépendance. On recommande aussi de les instruire en matière de religion, car « chez des peuples policés (des esclaves) n’ont pu perdre leur liberté que pour l’espérance meilleure des biens futurs ».
Lentement s’ébauche l’idée de l’affranchissement progressif des esclaves : « L’esclavage est un état violent et contre-nature (…) ceux qui y sont assujettis sont continuellement occupés du désir de s’en délivrer, et sont toujours prêts à se révolter ». L’idée philosophique fera son chemin tandis que, sur le plan administratif, et avec l’aide des colons eux-mêmes, l’esclavage « s’humanisera » sans mettre en péril un système économique qui en dépend.
Parmi les esprits éclairés du siècle, certains philosophes n’hésitaient pas à défendre des idées fort proches des futures conceptions du racisme scientifique. Voltaire, par exemple, tenait en grand mépris les esclaves noirs et liait sans honte da fortune à une entreprise nantaise de traite des Noirs. Son antijudaïsme virulent était déjà bien connu de ses contemporains.
Montesquieu et Helvétius, au contraire, défendent l’idée qu’il n’y a aucune inégalité naturelle entre les esprits. L’homme est le produit de sa propre histoire, tout est acquisition. L’éducation, l’ensemble des connaissances qu’une société met à la disposition des individus , la « nourriture ambiante », font de l’homme ce qu’il est. Il n’y a donc pas de peuples inférieurs ou stupides mais seulement ignorants. L’infériorité des sauvages n’est pas le résultat d’un vice de constitution mais elle est d’ordre purement historique.
L’Epître aux nègres esclaves de Condorcet débute par ces mots universalistes : « Quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. La nature vous a formés pour avoir le même esprit, la même raison, les mêmes vertus que les Blancs… »
Et Diderot d’appeler à la révolte : « Vos esclaves n’ont besoin ni de notre générosité, ni de vos conseils pour briser le joug sacrilège qui les opprime. La nature parle plus haut que la philosophie et que l’intérêt. Déjà se sont établies deux colonies de nègres fugitifs (…) Ces éclairs annoncent la foudre ». (Histoire des Indes).
Diderot rêve d’un point d’équilibre entre un état sauvage, trop misérable, et un état policé, trop corrompu : « Dans tous les siècles à venir, l’homme sauvage s’avancera pas à pas vers l’état civilisé. L’homme civilisé reviendra vers son état primitif » ; d’où le philosophe conclue qu’il existe dans l’intervalle qui les sépare un point où réside la félicité de l’espèce. Mais qui est-ce qui fixera ce point ? Et, s’il était fixé, quelle serait l’autorité capable d’y diriger, d’y arrêter l’homme ? »
Diderot raisonne en naturaliste là où, pour Rousseau, il n’y a nul bonheur pour la société en dehors de la morale. Si Rousseau s’intéresse au « bon sauvage », ce n’est pas tant pour refuser la civilisation que pour se demander comment l’homme peut devenir « un être moral, un animal raisonnable, le roi des autres animaux et l’image de Dieu sur terre » (Essai sur l’origine des langues). Pour lui, l’expression la plus forte de la liberté humaine se trouve dans la vie sociale née d’un contrat. L’histoire de l’homme tient donc à sa liberté et non à la nécessité. Il s’oppose à la thèse de Buffon qui ordonne toutes les variétés humaines autour d’un modèle parfait, l’Européen civilisé. Il critique tous ceux qui se permettent d’assigner des bornes précises à la nature et décident qui appartient à l’espèce humaine : « Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l’homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d’abord observer les différences pour découvrir les propriétés » ( Essai sur l’origine des langues, ch. VIII).
Peut-être est-ce parce qu’il souffrait lui-même de sentiments de persécution qu’il se sentit aussi proche des Juifs dont il écrivit : « … un spectacle étonnant et vraiment unique est de voir un peuple expatrié, n’ayant plus ni lieu ni terre depuis près de deux mille ans, un peuple mêlé d’étrangers, n’ayant plus peut-être un seul rejeton des premières races, un peuple épars, dispersé sur la terre, asservi, persécuté, méprisé de toutes les nations, conserver pourtant ses caractéristiques, ses lois, ses mœurs, son amour patriotique de la première union sociale, quand tous les liens en paraissent rompus. Les Juifs nous donnent un étonnant spectacle : les lois de Numa, de Lycurgue, de Solon, sont mortes ; celle de Moïse, bien plus antiques, vivent toujours. Athènes, Sparte, Rome ont péri et n’ont plus laissé d’enfants sur terre ; Sion détruite n’a pas perdu les siens.
Ils se mêlent chez tous les peuples et ne s’y confondent jamais ; ils n’ont plus de chefs, et sont toujours peuple ; ils n’ont plus de patrie, et sont toujours citoyens… » (Cité par Léon Poliakov).
L’Encyclopédie de Diderot et de ses collaborateurs est moins unanime à louer les Juifs. Si les Hébreux antiques sont peints sous des couleurs idylliques à l’article « Usure », ils sont considérés comme stupides et superstitieux à l’article « Médecine » ou « Economie politique » et comme d’odieux calomniateurs à l’article « Messie », commandé et retouché par Voltaire lui-même. Diderot, plus modéré et objectif, conclut ainsi son article « Judaïsme » : « Les Juifs sont aujourd’hui tolérés en France, en Allemagne, en Pologne, en Hollande, en Angleterre, à Rome, à Venise, moyennant des tribus qu’ils payent aux princes. Ils sont aussi fort répandus en Orient. Mais l’Inquisition n’en souffre pas en Espagne ni en Portugal ». L’article « Juifs, rédigé par le chevalier de Jaucourt, bas droit de Diderot, semble inspiré de Montesquieu : « (…) Ainsi, répandus de nos jours avec plus de sûreté qu’ils n’en avaient encore eu dans tous les pays de l’Europe où règne le commerce, ils sont devenus des instruments par le moyen desquels les nations les plus éloignées peuvent converser et correspondre ensemble… On s’est fort mal trouvé en Espagne de les avoir chassés, ainsi qu’en France d’avoir persécuté les sujets dont la croyance différait en quelques points de celle du prince. L’amour de la religion chrétienne consiste dans sa pratique : et cette pratique ne respire que douceur, qu’humanité, que charité ».
A la veille de la Révolution française, l’émancipation des Juifs se prépare dans tous les pays d’Europe mais à l’antijudaïsme de la société féodale va succéder une réaction raciste face à l’entrée des Juifs au sein d’une société bourgeoise, industrielle et laïcisée.
Si Buffon ou Linné placent l’homme au-dessus des hommes de couleur, ils ne considèrent pas encore que les Juifs forment une « race » à part. C’est le XIXe siècle qui donnera corps à cette idée meurtrière, qui naîtra de la rencontre de l’anthropologie physique et de la craniologie avec la philologie allemande et l’émergence du « mythe aryen ».
Lecture
– Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Flammarion, 1977.
– Léon POLIAKOV, Histoire de l’antisémitisme. De Voltaire à Wagner, Calmann-Levy, 1968.
Cf. Antisémitisme, Broca, Darwin, Esclavage, Exotisme, Galton, Linné, Racisme, Voltaire.
LOI DU 1er JUILLET 1972
Articles 1 et 2. — Ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public (…), auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 2000 F à 300 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Article 3. — La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 300 F à 300 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Article 4, — L’injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocation, sera punie d’un emprisonnement de cinq jours à deux mois et d’une amende de 150 F à 60 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Le maximum de la peine d’emprisonnement sera de six mois et celui de l’amende de 150 000 F si l’injure a été commise dans des conditions prévues à l’alinéa précédent envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Article 5. — La poursuite pourra être exercée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur origine et de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme peut exercer les droit reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24, alinéa 5, 32, alinéa 2 et 33, alinéa 3, de la présente loi.
Toutefois, quand l’infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de ces personnes.
Article 6. — Sera puni d’une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 3000 F à 30 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout dépositaire de l’autorité publique ou citoyen chargé d’un ministère de service public qui, à raison de l’origine d’une personne, de son sexe, de sa situation de famille ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, lui aura refusé sciemment le bénéfice d’un droit auquel elle pouvait prétendre.
Les mêmes peines sont applicables lorsque les faits auront été commis à l’égard d’une association ou d’une société ou de leurs membres à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille ou de l’appartenance ou de la non-appartenance de ces membres ou d’une partie d’entre eux à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Article 7. — Seront punis d’emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de 2000 F à 10 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement :
1° Toute personne fournissant ou offrant de fournir un bien ou un service qui, sauf motif légitime, l’aura refusé, soit par elle-même, soit par son préposé, à raison de l’origine de celui qui le requiert, de son sexe, de sa situation de famille ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou aura soumis son offre à une condition fondée sur l’origine, le sexe, la situation de famille, l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée :
2° Toute personne qui, dans les conditions visées au paragraphe 1 aura refusé un bien ou un service à une association ou à une société ou à l’un de ses membres, à une raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille ou de l’appartenance ou de la non-appartenance de ses membres ou d’une partie d’entre eux à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
3° Toute personne amenée par sa profession ou ses fonctions à employer pour elle-même ou pour autrui un ou plusieurs préposés qui, sauf motif légitime, aura refusé d’embaucher ou aura licencié une personne à raison de son origine, de son sexe, de sa situation de famille ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Le tribunal pourra ordonner que la décision de condamnation sera affichée dans les conditions prévues et insérées intégralement ou par extraits dans les journaux qu’il désigne aux frais du condamné, sans toutefois que ceux ci puissent dépasser le maximum de l’amende encourue.
Article 8. — Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre le racisme, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 6 et 7 de la présente loi.
Article 9. — Seront dissous par décret rendu par le président de la République en Conseil des ministres tous les associations ou groupements de fait qui (…) soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.
Article 10. — L’aggravation des peines résultant de la récidive ne sera applicable qu’aux infractions prévues par les article 24 ( alinéa 5) 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3) de la présente loi.
Lecture
– Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, Chronique du flagrant racisme, avec une préface d Casamayor, Ed. La Decouverte, 1984.
LINNE Carl von (1707-1778)
Dans son ouvrage Systema Naturae, le naturaliste Linné proposa une nouvelle classification des quelques 8500 espèces végétales et 4200 espèces animales connues à son époque. Il instaura la nomenclature binominale qui continue d’être utilisée : toute espèce est désignée par deux noms, le premier est celui du genre, le deuxième celui de l’espèce. Depuis, on a établi la description et la nomenclature d’environ 300 000 espèces végétales et de plus d’un million d’espèces animales mais on a gardé les noms d’espèce qu’il avait proposé au XVIIIe siècle.
Avant lui, Aristote avait distingué les animaux pourvus de sang et ceux qui en sont dépourvus. A partir de Linné, les sciences botaniques et zoologiques furent prises de passion pour les classifications, confondant volontiers typologie et connaissance.
Pour Linné, l’espèce Homo sapiens peut se diviser en six races différentes : sauvage, américaine, européenne, asiatique, africaine et monstrueuse. Il décrit l’Européen comme ingénieux, inventif et gouverné par les lois ; l’Américain comme content de son sort, basané, irascible, aimant la liberté et gouverné par les usages. L’Africain, il le voit rusé, paresseux, négligent, gouverné par la volonté arbitraire de ses maîtres ; l’Asiatique, comme avare, orgueilleux, mélancolique et gouverné par l’opinion.
Linné ne distingue pas les caractères physiques héréditaires, souvent influencés d’ailleurs par des conditions d’environnement comme la nourriture par exemple, et les caractéristiques culturelles acquises au cours de l’histoire.
KU-KLUX-KLAN
C’est au lendemain de la guerre de Sécession et de l’assassinat du président Abraham Lincoln qu’est né, en 1866, dans le Tennessee, le Ku-Klux-Klan. Les fondateurs en sont des jeunes gens d’origine écossaise qui créent le nom de leur association à partir du mot grec kuklos, cercle et du terme écossais clan qui signifie groupe familial. Constitué comme une armée secrète, le K.K.K. organise la terreur dans le Sud des Etats-Unis afin de faire échouer l’émancipation des Noirs que le XIIIe amendement à la Constitution vient de leur accorder. Lynchages, tabassages, flagellations nocturnes, incendies, tortures dont partie de leurs méthodes ainsi que le port de longues robes blanches et d’effrayantes cagoules.
Officiellement dissoute en 1869 par le « Grand sorcier », Nathan Bedford Forrest, cette organisation réapparaît après la Première Guerre mondiale et étend alors son influence à toute l’Amérique. A la lutte contre les Noirs s’ajoute aussi un combat raciste violent contre les Juifs, les immigrants et les membres de minorités ethniques ainsi qu’une vive opposition aux communistes et aux catholiques. En 1925, on compte plusieurs millions d’adhérents, les Kuxlers.
Le K.K.K. est structuré selon une hiérarchie complexe et ésotérique. A sa tête se trouve le « Grand sorcier de l’Empire invisible », assisté par les « Grands dragons », responsables de chaque Etat ; « Grands titans », « Grands géants » et « grands cyclopes » se partagent les districts, comtés et « tanières » du territoire des Etats-Unis. Avec une croix celtique brodée sur leurs robes, comme signe de ralliement, ils organisent de grandes processions mystico-religieuses au cours desquelles ils brandissent des croix en feu, qu’ils plantent ensuite devant les maisons de ceux qu’ils désirent intimider et menacer.
Après une nouvelle chute de son influence en 1929, l’époque du sénateur Mac Carthy s’accompagne d’une reprise de ses activités racistes et anti-démocratiques. Depuis 1960, le K.K.K. se signale par son opposition aux courants pacifistes, antiracistes et à l’évolution des mœurs. Les membres du Ku-Klux-Klan se sont rendus responsables de plusieurs meurtres contre des Noirs, des militants des droits civiques ou de pressions et menaces de mort contre ceux qui ne partagent pas leurs idées tels des pasteurs enseignant l’égalité des hommes ou des intellectuels comme Herbert Marcuse.
Une fois de plus, on voit comment une idéologie raciste se pare des grandes figures mythiques et archaïques de différentes traditions pour fonder son honorabilité : Cyclopes et titans, enfants du Ciel et de la Terre dans les mythes grecs des origines de l’Univers se mêlant aux généalogies issues de Rob-Roy, ce héros légendaire d’Ecosse.
Lecture
– David M. CHALMERS, L’Amérique en cagoule. Cent ans de K.K.K. 1865-1965, Trévise, 1966.
– Godfrey HODGSON, « Carpetbaggers » et Ku-Klux-Klan, Gallimard, coll. « Archives », 1966.
– William Peirce RANDELL, Le Ku-Klux-Klan, Albin Michel, 1966.
Cf. Noirs.
ISLAM
Poitiers, Tolède, Vienne : les Européens ont l’habitude de raconter l’histoire des relations entre l’Occident et l’Islam de leur point de vue mais la perception musulmane de l’Occident et de ces évènements reste généralement méconnue.
Si, pour l’histoire occidentale la bataille de Poitiers en 732 est décisive puisqu’elle marqua la fin de l’expansion arabe, pour les historiens arabes du Moyen Age cette bataille est présentée comme un engagement mineur alors que leur défaite, à la même époque, à Constantinople, par contre, leur semble indiquer la fin de la première phase de la guerre sainte musulmane.
Lorsque la guerre sainte des chrétiens commença au XIe siècle, la civilisation islamique, déchirée par un schisme religieux et une lutte de pouvoir entre les califats rivaux, montrait des signes de déclin et n’offrit qu’une faible résistance. Mais l’influence des croisés sur les pays qu’ils occupèrent pendant près de deux siècles paraît extrêmement réduite. La civilisation musulmane, fière et convaincue de sa supériorité méprisait l’Europe chrétienne, terre aride et froide, peuplée d’infidèles ignorants et hostiles. Jusqu’au XVIIIe siècle, alors même que l’empire ottoman est mêlé aux affaires de l’Europe, ils parlent d’Anglais sans religion, de Français sans âme, de Hongrois de mauvais augure, de Russe pervers ou d’Allemands impitoyables, tous appelés « infidèles ».
Au cours des siècles, le monde occidental a proposé diverses façon de diviser le monde. Les Grecs partageaient les êtres humains en Grecs et barbares, les Juifs en Juifs et Gentils, les Chrétiens, en Chrétiens et païens,… les Musulmans, eux, divisaient le monde en deux : le Territoire de l’Islam et le Pays de guerre. Selon la Loi sacrée, formulée part les juristes à l’époque classique, un état de guerre obligatoire religieusement et légalement devait régner entre ces deux parties du genre humain. Il était permis, à condition d’obtenir un sauf-conduit, à un non-musulman de se rendre en Islam mais les Musulmans étaient découragés de visiter l’Europe. Le Coran prescrit, en effet, un principe de coexistence et de séparation (sourate 109) : « Dis : O ! Infidèles ! Je n’adorerai pas ce que vous adorez, vous n’êtes pas adorant ce que j’adore, je ne suis pas adorant ce que vous avez adorez, et vous n’êtes pas adorant ce que j’ai adoré. A vous, votre religion, à moi, ma religion ». Pour les Musulmans, les Juifs et les Chrétiens professaient des religions fondées sur des révélations authentiques mais dépassées et inférieures, aussi pour avoir le droit de pratiquer leur religion et de conserver leurs lieux de culte en terre musulmane devaient-ils reconnaître la primauté de l’islam et la suprématie des Musulmans. Ils devaient pour cela s’acquitter de taxes élevées et d’un droit de capitation. Pendant longtemps, ce sont ces Juifs et ces Chrétiens des pays musulmans qui servirent d’intermédiaires entre l’Empire ottoman et l’Europe, diplomates, traducteurs, marchands ou espions, tout commerce avec l’infidèle étant une tâche fort dépréciée.
Malgré l’importance qu’il représentait en tant que système politique et religieux concurrent, le monde chrétien n’excitait pas beaucoup la curiosité des Musulmans. En 1068, Sâ’id ibn Ahmad, cadi de la ville musulmane de Tolède en Espagne, écrivit un livre sur les catégories des nations. Il les répartit entre celles qui ont cultivé la science (Indiens, Perses, Chaldéens, Grecs, Romains et Chrétiens d’Orient, Egyptiens, Arabes et Juifs) et les autres. Parmi ces dernières, il respecte les Chinois et les Turcs mais rejette les barbares du Nord et du Sud. Les barbares du Nord de l’Europe « sont plus semblables aux animaux qu’aux hommes. Ceux d’entre eux, en effet, qui vivent très loin dans les contrées septentrionales, dans les régions comprises entre l’extrémité des sept climats et les confins du monde habité, connaissant une température glaciale, un ciel nuageux à cause de l’éloignement extrême du soleil par rapport à la ligne du zénith. De ce fait, leur tempérament est devenu nonchalant et leurs humeurs crues ; leur ventre à grossi, leur teint pâli ; leurs cheveux ont poussé. Aussi la finesse de leur esprit, la perspicacité de leur intelligence sont-elles nulles, l’ignorance et l’indolence dominantes, l’absence de jugement et la grossièreté générales chez eux… ».
Evidemment, depuis son avènement en Arabie au VIIe siècle, l’islam s’est presque continuellement heurtée à la chrétienté. Après la première vague de conquêtes musulmanes puis les Croisades et la reconquête chrétienne, ce sera l’avance turque puis à nouveau l’expansion européenne. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que les Musulmans pensèrent nécessaire d’étudier de plus près cette société européenne si étrange et dangereuse et ils y envoyèrent petit à petit des marchands, des ambassadeurs et des étudiants. L’introduction de l’imprimerie, la création de journaux et l’emploi d’instructeurs européens dans les écoles militaires de l’État ottoman rendirent plus aisés la connaissance et la diffusion des idées et des réalités occidentales. Entre 1822 et 1842, l’Egypte fit traduire 243 livres européens — mouvement sans équivalent depuis la traduction d’ouvrages grecs de philosophie et de sciences au VIIIe siècle — : traités militaires, de mathématique, de médecine, de science vétérinaire ou d’agriculture, textes sur Catherine de Russie ou Napoléon et même l’Histoire de Charles XII de Voltaire. Dorénavant les Musulmans acceptent d’apprendre les langues européennes, longtemps méprisées comme des idiomes barbares et insignifiants. Mais le passage de l’ancienne attitude de mépris à un sentiment d’intérêt pour les connaissances techniques et théoriques supérieures des Occidentaux se fit avec réticence. En 1838, un sultan réformateur turc fit ce discours à l’inauguration de la nouvelle école de médecine : « Vous allez étudier la médecine scientifique en français… Mon objectif en vous faisant apprendre le français n’est pas de vous enseigner cette langue, mais de vous enseigner la médecine scientifique et peu à peu de la faire entrer dans notre langue ».
Lecture
– Bernard LEWIS, Comment l’Islam a découvert l’Europe, Ed. La Découverte, Paris 1984.
Cf. Autre, Moyen Age.
INQUIETANTE ETRANGETE
« L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières (…) J’étais assis seul dans un compartiment de wagons-lits lorsque, à la suite d’un violent cahot de la marche, la porte qui menait au cabinet de toilette voisin s’ouvrit et un homme d’un certain âge en robe de chambre et casquette de voyage, entra chez moi. Je supposai qu’il s’était trompé de direction en sortant des cabinets qui se trouvaient entre les deux compartiments et qu’il était entré dans le mien par erreur. Je me précipitai pour le renseigner, mais je m’aperçus, tout interdit, que l’intrus n’était autre que ma propre image reflétée dans la glace de la porte de communication. Et je me rappelle encore cette apparition m’avait profondément déplu. Au lieu de nous effrayer de notre trouble, nous ne l’avions tout simplement (…) pas reconnu. Qui sait si le déplaisir éprouvé n’était tout de même pas un reste de cette réaction archaïque que ressent le double comme étant étrangement inquiétant ? »
Sigmund Freud,
« L’inquiétante étrangeté »,
in Essais de psychanalyse
appliquée, Gallimard, col. Idé
p. 163-210.
« Cet étranger n’est pas n’importe quel étranger, il ne provoque un sentiment d’étrangeté que parce qu’il est aussi mon semblable (…) Quand donc intervient l’angoisse devant l’étranger ? Quand l’autre est à la fois semblable et différent. C’est pourquoi je tiens pour fausse, ou en tout cas pour incomplète, l’idée admise selon laquelle le racisme témoignerait d’un refus radical de l’autre, d’une intolérance foncière aux différences, etc. Contrairement à ce que l’on croit, l’image du semblable, du double, est infiniment plus troublante que celle de l’autre ».
J.-B. Pontalis,
« Une tête qui ne revient pas »
in Le Genre humain, 11, 1984, p. 17.
INDIENS D’AMERIQUE
« Renvoyant, comme nous le faisons, aux chroniqueurs de cette terre et au récit circonstancié qu’ils ont donné des grands événements de la conquête, nous nous contenterons de retracer à grands traits l’essentiel de cette histoire. Et nous parlerons d’abord des signes qu’il y eut sur cette terre avant l’arrivée des Espagnols. (…) Dix ans avant l’arrivée des Espagnols, il y eut ainsi un signe considéré comme un mauvais présage et un prodige étonnant : on vit apparaître une colonne de brûlantes et ardentes flammes (…) les Indiens manifestaient une peine intense, poussant de grandes clameurs, des hurlements et des cris d’épouvante et se frappant la bouche du plat de la main suivant leur habitude. Toutes ces larmes et lamentations étaient accompagnées des sanglants sacrifices humains qu’ils avaient coutume d’accomplir dans les adversités et les tourments (…) Le second prodige, signe ou présage fut un incendie qui dévasta, sans que personne le provoquât, le temple du démon (…) Le huitième prodige de Mexico fut qu’à plusieurs reprises, on put voir deux hommes unis en un seul corps — ce que les naturels appelaient Tlacanctzolli — et, d’autres fois, des corps à deux têtes, qu’on amenait dans le Palais-au-Salon-Noir du grand Motecuhzoma et, à peine arrivées, ces apparitions s’évanouissaient et tous ces signes devenaient invisibles qui annonçaient aux indigènes leur achèvement et leur fin car, d’après eux, la fin du monde était proche et l’univers entier allait disparaître et d’autres êtres seraient créés et la terre peuplée de nouveaux habitants. Et ils allaient ainsi, éperdus et tristes, sans savoir que penser d’évènements si étranges et singuliers, jamais vus ni entendus jusqu’alors. (…)
Lorsque les messagers et espions de Motecuhzoma arrivèrent, ils purent vérifier qu’ils s’agissait d’hommes, parce qu’ils mangeaient, buvaient et aspiraient à des satisfactions humaines. Ils ramenèrent une épée, une arbalète et une nouvelle encore plus étonnante, qui était la présence d’une femme, belle comme une déesse, car elle parlait la langue mexicaine et celle des dieux, ce qui permettait de savoir ce que voulaient ces gens ; son nom était Malintzin puis, après son baptême, on l’appela Marina. Finalement, sur la question de savoir si c’étaient des dieux ou des hommes, ils ne pouvaient se prononcer. « Car, s’il s’agissait de dieux, disaient-ils, ils ne renverseraient pas nos oracles ni ne maltraiteraient nos dieux puisqu’ils seraient leurs frères et , comme ils les maltraitent et les renversent, il ne doit pas s’agir de dieux mais de gens bestiaux et barbares qui recevront de nos idoles le juste paiement de leurs offenses » (…)
Et ainsi, dans cette étrange confusion, ils attendirent de savoir quelles étaient leurs intentions et, trouvant qu’ils n’étaient qu’une petite poignée, Motecuhzoma ne s’en préoccupa guère et n’imagina pas sa perte car il se disait que, s’ils s’agissait de dieux, il saurait les gagner par des sacrifices, des prières et d’autres actes de piété, et que, si c’étaient des hommes, leur force était négligeable. (…)
Extraits de « Histoire de Tlaxcala »
In Récits aztèques de la conquête,
Textes choisis et présentés par
Georges Baudot et Tzvetan Todorov,
Seuil, 1983.
A partir du mois d’octobre 1492, la terre devient ronde et le monde des hommes est dorénavant clos. C’est au même moment, dans un siècle qui vient d’inventer l’imprimerie, que l’Espagne chasse de son territoire tous ses « étrangers » — remportant la victoire sur les Maures et exilant les Juifs — et qu’elle découvre l’Amérique. L’Espagne rencontre l’Amérique mais refuse de faire la connaissance de ses habitants. Pour la première fois de l’histoire sans doute, des hommes voient d’autres hommes dont ils ignoraient jusque-là l’existence. Mais les voient-ils vraiment ? L’altérité humaine se trouve radicalement révélée mais tout aussitôt refusée : le plus grand génocide de l’histoire de l’humanité va se perpétrer.
Tout commence avec les passions d’un homme Christophe Colomb, un homme profondément pieux qui désire la victoire universelle du christianisme, jouit de la nature et de sa conquête et ne dédaigne pas l’or qui pourra justifier son entreprise auprès des rois espagnols. Les premiers mots qu’il note dans son Journal à propos des Indiens, c’est : « Alors ils virent des gens nus » (Journal, 11 octobre 1492). Etonné de les trouver sans vêtements « comme leur mère les enfanta » (6.11.1492), il les suppose aussi dépouillés de toute identité culturelle : il les croit sans religion, sans armes, sans lois et presque sans langues. Il pense même qu’ils doivent apprendre à « parler » (12.10.1492).
A tout ce qu’il aperçoit, Colomb donne un nouveau nom, tel Adam au Paradis, à chaque île, à chaque cap, mais aussi aux deux premiers Indiens qu’il ramène en Espagne, qu’il nomme Don Juan de Castille et Don Fernando de Aragon. Il ne peut concevoir un autre que lui. Pour les considérer comme égaux, Colomb veut assimiler les autochtones à des catholiques espagnols. Avec une bonne foi naïve et aveugle, il les suppose aptes « à ce qu’on leur fasse bâtir des villes, à ce qu’on leur enseigne à aller vêtus et à prendre nos coutumes » (16.12.1492). « Vos Altesses doivent avoir grande-joie parce que bientôt Elles en auront fait des chrétiens et les auront instruits en les bonnes coutumes de leurs royaumes » ( 24.12.1492).
Si les Indiens se montrent rebelles à ces projets et refusent la conversion, ils sont brûlés vifs. Pour être considérés comme égaux, les Indiens doivent donc se soumettre ; paradoxe qui n’effleure pas Colomb. Petit à petit, il passera d’un assimilationnisme qui impliquait une égalité de principe à une idéologie esclavagiste qui affirme de fait l’infériorité des colonisés. Ne peut-il y avoir d’égalité dans le respect des spécificités ? Faut-il qu’au sentiment de la différence se lie nécessairement l’expression d’une supériorité ? C’est avec acuité que la tragique histoire de la découverte et de la conquête des Amériques nous pose ces questions au cœur de toute réflexion sur le racisme.
Les historiens actuels pensent que près de 90% de la population indienne disparut à la suite des massacres pendant les guerres mais surtout par la suite de mauvais traitements et des maladies que les Espagnols introduisirent. D’après Motolinia, un franciscain, qui débarqua au Mexique en 1523, dix plaies s’abattirent sur le Mexique, comme jadis sur l’Egypte : « La première fut la plaie de la petite vérole ». La conquête guerrière puis une très grande famine et des travaux trop rudes firent mourir beaucoup d’Indiens mais à ces maux s’ajoutèrent aussi des impôts si élevés qu’ils étaient obligés de vendre leurs enfants : « Lorsqu’ils étaient incapables de le faire, beaucoup d’entre eux moururent à cause de cela, certains sous la torture et d’autres dans de cruelles prisons, car les Espagnols les traitaient brutalement et les estimaient comme moins que leurs bêtes ». Les mines d’or engloutirent un nombre immense d’esclaves : « On les marque au fer sur le visage et on imprime dans leur chair les initiales des noms de ceux qui sont successivement leur propriétaires ; ils vont de main en main, et quelques-uns ont trois ou quatre noms, de façon que le visage de ces hommes qui furent créés à l’image de Dieu a été, par nos péchés, transformé en papier » ( Vasco de Quiroga).
La description des massacres des Indiens atteint une cruauté à peine soutenable, tel ce témoignage d’un évêque : « Et ce Diego de Landa dit avoir vu un grand arbre près de cette localité, aux branches duquel un capitaine pendit un grand nombre d’Indiennes et à leurs pieds il pendit aussi les petits enfants (…) Les Espagnols commirent des cruautés inouïes, tranchant les mains, les bras, les jambes, coupant les seins aux femmes, les jetant dans des lacs profonds, et frappant d’estoc les enfants, parce qu’ils ne marchaient pas aussi vite que leurs mères. Et si ceux qu’ils amenaient, le collier au cou, tombaient malades ou ne cheminaient point aussi vite que leurs compagnons, ils leur coupaient la tête, pour ne pas s’arrêter et les délier ».
Loin des lois de leur pays et assimilant les indigènes à des animaux, les colonisateurs massacrent sans remords. Pour Tzvetan Todorov, « La barbarie des Espagnols n’a rien d’atavique, ou d’animal ; elle est bien humaine et annonce l’avènement des Temps modernes ». Certains Espagnols, contemporains de ce génocide, osèrent le dénoncer ; tel fut le cas de Las Casas, un dominicain qui vécut de 1474 à 1566 et prit la défense des Indiens sans détours : « Je crois qu’à cause de ces œuvres impies, scélérates et ignominieuses, perpétrées de façon injuste, tyrannique et barbare, Dieu répandra sur l’Espagne sa fureur et son ire, parce que toute l’Espagne, peu ou prou, a pris sa part des sanglantes richesses usurpées au prix de tant de ruines et d’exterminations ».
Lecture
– Hernan CORTES, La Conquête du Mexique, Maspero, La Découverte, 1979.
– Récits aztèques de la conquête, textes choisis et présentés par Georges Baudot et Tzvetan Todorov, Seuil 1983.
– Eduardo GALEANO, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Paris, Plon., (Coll. Terre humaine), 1981.
– B. de LAS CASAS, Très brève relation sur la destruction des Indes & les trente propositions très juridiques, Mouton, 1974.
– Miguel LÉON-PORTILLA, La pensée aztèque, Seuil, 1985.
– Tzvetan TODOROV, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Seuil 1982.
– Nathan WACHTEL, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, 1971.
Cf. Autre, Différence, Pureté de sang.
Casanova : Loving a Lover -New York Times -october 1, 1997
Loving a Lover: Is Casanova’s Reputation as Reprobate a Bum Rap?
By DINITIA SMITH
have loved women to a frenzy,” the 18th-century writer and adventurer Giacomo Casanova wrote in his huge memoir, “History of My Life.” And indeed
he did. By one count, Casanova made love to 132 women during his life, a large number, at least by the preinflationary standards of the day.
His amorous pursuits made his reputation for the next 200 years, and the name “Casanova” became synonymous with a male neurosis. In popular culture, he has often been portrayed as something of a buffoon. In the 1954 film “Casanova’s Big Night,” Bob Hope masquerades as Casanova pursuing the lovely Joan Fontaine through Venice. In Fellini’s “Casanova,” with Donald Sutherland, and in “La Nuit de Varennes,” with Marcello Mastroianni, Casanova is irredeemably dissolute.
But the popular portrayal has obscured Casanova’s exploits as a magician, a spy, a translator of the “Iliad” and possibly, a co-author of the libretto for Mozart’s “Don Giovanni.” Casanova was said to be the only person ever to escape from the Doges’ Palace in Venice. And he was a monumental egomaniac, able to find enough interesting material about himself to fill 12 volumes of writings.
But for the most part it has been nearly impossible to read Casanova’s memoirs in English. They have long been out of print and difficult to obtain. Now, for the first time in over 25 years, they are available once again, in an attractively bound six-volume edition of a 1966 translation by Willard R. Trask, published in May by Johns Hopkins University Press. Next month, Farrar, Straus & Giroux will publish “Casanova, the Man Who Really Loved Women,” written by a Belgian psychoanalyst, Lydia Flem. As much a meditation as a full-scale biography, Ms. Flem’s book asserts that Casanova was something of a feminist.
It looks as if Casanova is on his way to rehabilitation.
“Having him available in translation makes it possible for people to discover he’s a wonderful writer,” said Jay Caplan, a professor of French literature at Amherst College.
For Robert Darnton, a professor of history at Princeton and an authority on French literature of the Revolutionary period, Casanova was not the usual Don Juan. “Casanova is a worldly wise figure who rises above the defeats of his later life through the sheer power of his literary imagination,” he said. “Sex is a part of the story, but only the vehicle for a deeper knowledge of the human condition.”
But who was the historical Casanova? How much of what he wrote was true? J. Rives Childs, a diplomat and author of a 1988 biography of Casanova, combed archives across Europe in an attempt to track down the facts behind Casanova’s assertions. “Much has been made,” Childs wrote, of “the occasional discrepancies found in the narrative.” But most of these lapses, Childs said diplomatically, occur because “Casanova was of exemplary punctiliousness in protecting the identity of women of any social standing with whom he had liaisons.”
He was born Giacomo Casanova in Venice in 1725, of Spanish ancestry. In his memoir, he claims that one of his ancestors sailed with Christopher Columbus. Casanova’s parents were actors, considered a lowly class by Venetians, but were nonetheless immensely popular. Young Giacomo was a sickly child, given to nosebleeds. When he was only a year old, his mother, Zaneta, abandoned him to the care of his grandmother so that she could pursue her acting career. It could be argued that the rest of his life was a search for the maternal warmth that was abruptly taken from him when he was a baby.
Judging from Casanova’s own account of his early exploits, he was a beautiful boy, androgynous in appearance, with curly hair that young girls liked to run their fingers through. When he was 11, Casanova was sent to Padua to study for the priesthood under the tutelage of an Abbe Gozzi. It was there that Casanova seems to have found his real calling, when he was seduced by the priest’s sister, Bettina.
Shortly thereafter he returned to Venice in his priestly robes, and seduced two sisters simultaneously. He also came under the protection of the first of a series of rich patrons, a Senator Malipiero, who, Childs speculates, might have been his real father.
From then on, Casanova’s life appears to have followed a pattern. There would be a rich patron. Casanova would get involved in a scheme. He would seduce someone. There would be a scandal, and he would have to leave town in a hurry. His feverish travels through France, Poland, Germany and Italy provide a panoramic history of 18th-century Europe, a landscape with few cultural boundaries.
In 1760, he met Voltaire. Casanova described their meeting thus:
“This,” I said to him, “is the happiest moment of my life. I have a sight finally of my master; it is for 20 years, sir, that I have been your pupil.”
Voltaire’s reply, Casanova writes, was: “Honor me with another 20, but promise me also to come and bring my fees at the end of that time.”
The two argued about poets — including Ariosto, who was Casanova’s favorite — and Casanova told Voltaire he disagreed with some of his writings.
Casanova’s memoirs are also a chronicle of 18th-century music. In 1784, by one account, he met Da Ponte. In Childs’ biography of Casanova, he quotes an eyewitness to the encounter as recalling that Da Ponte asked Casanova to help with the libretto for “Don Giovanni,” an opera that somewhat resembles his own autobiography.
Casanova seduced women of all classes, including a number of nuns. He also seemed to like underage girls. He never married, though he had children. In one precipitous episode, he almost married his own daughter, Leonilda. He actually went to bed with her and her mother, though he said that he left the child “intact.”
Still, Ms. Flem argues in her new book: “Casanova never breaks up with a woman. Separation is always by mutual consent.” And when he breaks up with a woman, there is “no rancor, no heartbreak, no revenge, no heartache. At most a bit of sadness.”
Sometimes, Casanova writes, he liked women to dress him up as a girl. He appears to have had some homosexual experiences, though he preferred women to men.
But above all, Casanova liked his women to be intelligent. “Without speech, the pleasure of love is diminished by at least two-thirds,” he wrote.
“Casanova was in love with women,” Ms. Flem said in a telephone interview from her vacation home in Brittany. “He doesn’t try to make a collection of women.”
He had a gallant side, too, and was forever coming to the aid of women in distress, including women who were pregnant by men other than him.
“I fell in love with him,” Ms. Flem said. “I think he is a man who can understand women. Because, in a certain way, a part of him is like a woman. He likes intelligent women very much. Women are not just an object of desire, but people to talk to. He’s very afraid of hurting them, and he likes to stay friends after being lovers. And he is one of the best writers of that century.”
In 1743 or 1744, Casanova published a poem that whetted his appetite for “the rewards and practice of literature,” he said. He eventually abandoned his plans for the priesthood, and began earning his living as a violinist and a gambler.
The great love of Casanova’s life was Henriette, whom he met in 1749. She seems to have been a cross-dresser. Henriette called him “the most honorable man I have ever met in this world.” When they parted company in a hotel room in Geneva, she carved a message to him on the window with the point of a diamond. “You will forget Henriette, too,” she wrote.
Years later, when he encountered her again
, he failed to recognize her. “We have both aged,” Henriette wrote to him in 1769 when she was 51. “But will you believe me that while I still love you, I am happy that you did not recognize me? It is not that I am ugly, but plumpness has altered my physiognomy.”
The most famous of Casanova’s escapades occurred in 1756-1757 in Venice, after he had published an anti-clerical poem and had been imprisoned in the Leads, the prison in the Doges’ Palace, by the Inquisition. Casanova broke through the floor of his cell and escaped with the aid of an accomplice. He was said to be the first person ever to have found his way out of the place. Twenty years later, Casanova switched roles, and became a secret agent for the Inquisition.
Among his many jobs, Casanova raised money for the French authorities. He was the founder, in 1757, of a national lottery. Around that time, Casanova also became, temporarily, rich, and began referring to himself as the Chevalier de Seingalt. All his life, he engaged in a series of schemes to make money, including a crackpot attempt in 1763 to transmigrate the soul of the Marquise d’Urfe into the body of a male infant.
By the age of 65, Casanova had worn himself out. His powers had faded, and he got a job as a librarian for Count Joseph Charles de Waldstein at his castle at Dux. It was a terrible time for the old libertine. He was bored, and he hated the food.
Casanova’s days in the castle, as described by Prince Charles de Ligne, the Duke’s uncle, and quoted in the Childs biography, were not happy. “There was not a day in which, whether for his coffee, his milk, the plate of macaroni he demanded, there was not a quarrel,” de Ligne wrote. Worse, Casanova became something of a laughing stock. “He had become angry, they had laughed,” de Ligne wrote. “He had shown his French verses, they had laughed. He had gesticulated, declaiming Italian verses, they had laughed.”
And so Casanova began his memoirs, “the only remedy to keep from going mad or dying of grief,” he wrote. For nine years, he scribbled furiously for 13 hours a day in French, a language that he loved and was more widely spoken than Italian. By the time he died in 1798, his strongest attachment was to his fox terrier, Finette. The cause of death was said to be a painful disease of the bladder. His memoirs extended only to the year 1774.
According to de Ligne, Casanova’s last words were: “I have lived as a philosopher and die as a Christian.”
For years, Casanova’s memoirs languished. Then, in 1820, one of his descendants offered them to F.A. Brockhaus, the German publisher, and Brockhaus published an edited version in German.
During World War II, Brockhaus hid the manuscript in 12 cartons under the Brockhaus office in Leipzig. But the building was hit by an Allied bomb. Casanova’s writings were rescued and taken by bicycle to a bank vault. In 1960, Brockhaus published the memoirs in their full form.
“His final conquest, his most beautiful courtesan, is writing,” Ms. Flem writes. “Words capture the scents, flavors, curves, textures, sounds and colors of memories.” In the end, she writes, Casanova’s memoirs are “a display that runs the entire gamut of the senses, warming the soul of an exile who dreads boredom.”
Critique : Maylis de Kerangal
Je me suis plongée dans ce roman sans prendre connaissance ni du titre ni du résumé au dos du livre. Lire, c’est aussi cela : un saut dans l’inconnu, un pari, un pacte, une promesse, un danger. S’engouffrer avec l’auteur dans le flot des pages, le flot âpre, musical, maritime, heurté, haletant, désespéré, noble, polyphonique, méditatif, des mots et des gestes, des personnages et des lieux. Je n’ai donc pas anticipé le destin que l’écrivain réservait à son héros, cette ” belle mort ” des jeunes Grecs, la mort en plein élan. Pourtant, son nom, Simon Limbres, qui surgit à la première ligne, portait un indice à une lettre près. Limbres, limbes. Etat incertain, indécis ; pour la théologie catholique, séjour des innocents, des justes morts, paradis des enfants flottant loin de leurs mères.
Par ce vieux réflexe d’empathie involontaire, inconsciente, on s’identifie d’emblée au héros. Lui, c’est moi. Peu importe si je n’ai jamais surfé sur les plus belles vagues, les déferlantes, les rouleaux de Jaws à Hawaï, les tubes, les lames. A 200 mètres du rivage normand, je deviens Simon, mes ” cils se durcissent comme des fils de vinyle “, je m’élance ” en poussant un cri, et pour un laps de temps touche un état de grâce – c’est le vertige horizontal “.
Depuis Les Petites-Dalles, à partir d’Etretat, il faut environ une heure pour rejoindre Le Havre. A 9 h 20, les secours arrivent sur place, là où la camionnette qui transportait Simon et deux amis, de retour du surf, a percuté le poteau. Trois passagers, deux ceintures de sécurité. Ce dimanche matin, Pierre Révol a pris sa garde au service de réanimation, il scrute les clichés du cerveau de Simon dans tous les plans de l’espace : coronal, axial, sagittal et oblique. Sur une étagère de son bureau, L’Homme devant la mort, de Philippe Ariès (Seuil, 1977), et La Sculpture du vivant, de Jean Claude Ameisen (Seuil, 1999). Il est né en 1959, l’année où Goulon et Mollaret annoncèrent que l’arrêt du cœur n’est plus le signe de la mort. Révol, c’est un médecin comme on les souhaiterait toujours : ” Non pas le sentiment de puissance, l’exaltation mégalomane, mais
pile son contraire : l’influx de lucidité qui régule ses gestes et tamise ses décisions. Un shoot de sang-froid. “ Aux parents de Simon, Marianne et Sean, ” cognés de douleur “, il annonce l’irréversible. Des images
du Christ en croix au corps blême, Mantegna, Holbein. Simon ressemble, lui, à un jeune dieu qui a l’air de dormir. Ce que ressentent les parents les foudroie ” dans un langage impartageable, d’avant les mots et d’avant la grammaire, qui est peut-être l’autre nom de la douleur “. Thomas Rémige, l’un des infirmiers coordinateurs des prélèvements d’organes leur parle, questionne, répond, attend. Il a pour eux ” un regard juste “.
La course contre la montre s’est enclenchée, tout s’emballe, mais rien ne peut avoir lieu sans leur consentement. Ce temps de méditation s’étire infiniment, avant que coulisse un ” oui ” dans la gorge serrée. Il est 17 h 30. Oui, notre fils est donneur. Les poumons, le foie, les reins, le cœur, oui. Le prélèvement des cornées, non. ” Les yeux de Simon, ce n’était pas seulement sa rétine nerveuse, son iris de taffetas, sa pupille d’un noir pur devant le cristallin, c’était son regard. “
Le titre de ce roman, Réparer les vivants, vient d’un dialogue du Platonov de Tchekhov. ” Que faire, Nicolas ? – Enterrer les morts et réparer les vivants. “ C’est Thomas, l’amoureux des oiseaux (il a dépensé l’héritage de sa grand-mère pour un chardonneret, un vrai, de la vallée de Collo), qui a scotché la réplique sur la porte de son bureau, pour donner un sens à son métier, son humanité, sa dignité. C’est lui qui accompagne Simon de son chant au moment de la restauration du corps du donneur. Un chant d’abord ténu, à peine audible, puis sa voix s’amplifie et scande les gestes de la main qui lave, répare, recoud, enveloppe. Thomas chante son nom, commémore sa vie, sinon ce serait la barbarie.
Dans ce roman magnifique, l’écrivaine ne sépare jamais la technique de la poésie, la quotidienneté de la métaphysique ni l’intimité blessée de l’efficacité collective. Son écriture parcourt tous les registres de la langue pour dire comment dans une même expérience pensées et sensations se fracassent. Maylis de Kerangal boucle son récit en vingt-quatre heures, du dimanche 5 h 50 au lundi 5 h 49. Vingt-quatre heures, moins une minute. La minute qui demeure à la frange, en ce lieu trouble, où la mort et la vie s’épousent. Là où la littérature éclairera toujours la science.
Maylis de Kerangal appartient à cette maison des écrivains de haute écriture, ceux qui nous rendent plus humainement humains.
Lydia Flem
Réparer les vivants,
de Maylis de Kerangal,
Verticales, 288 p., 18,90 €.
écrivaine
IDEOLOGIE
IDEOLOGIE
Lorsqu’il forgea le mot en 1796, Destutt de Tracy, un philosophe qui avec d’autres savants de son époque se nommaient eux-mêmes « idéologues », donnait pour objet de l’idéologie : « l’étude des idées, (…) de leur caractère, de leur lois, (…) et surtout de leur origine ». Le terme prit avec Napoléon et Marx une connotation péjorative. L’empereur traitait les Idéologues, — ces héritiers des Encyclopédistes qui réfléchissaient aux conditions du développement des sciences ou à l’établissement des meilleurs gouvernements, — de “rêveurs’’, “ des phraseurs, des métaphysiciens bons à jeter à l’eau’’. Pour Marx l’idéologie est un ensemble d’idées et de croyances propres à une époque, à une société et plus précisément à une classe sociale. Elle est donc toujours relative, partiale et sans valeur scientifique.
Introduisant une réflexion actuelle sur cette question, Jean Pouillon propose de considérer que la relativité de l’idéologie, définie comme système particulier d’idées, de valeurs de croyances, fait en même temps sa réalité : « elle n’est que — mais elle est — phénomène social ». Ainsi, dans toute société, l’idéologie forme un système plus ou moins cohérent d’idées et de valeurs, structurant pour ceux qui les partagent l’environnement social et naturel, donnant explication et légitimité à l’organisation de cette société et proposant des modèles aux discours et aux comportements des membres.
Il faut souligner un point capital : l’idéologie reste inconsciente de ce sur quoi elle s’appuie ; elle est aveugle à elle-même.
On pourrait donc penser que science et idéologie sont également dans un rapport antinomique. Mais la science fait aussi partie d’une société et elle n’échappe pas à ses idéologies. Comme Jean Pouillon le souligne, « toute science postule un type particulier d’explication, pose à l’avance ce que doit être non seulement une explication vraie par opposition à une fausse, mais également une « bonne » par rapport à une moins « bonne ». Pour un mathématicien, par exemple, la meilleure théorie sera la plus générale, la plus unitaire (…) Cette situation ne fait pas de la science une illusion, elle n’est pas un obstacle à la connaissance, elle en est au contraire le point de départ obligé : elle signifie que le savoir est toujours sélectif et que les principes de la sélection qu’il opère lui sont logiquement antérieurs ».
Si la science est infiltrée d’idéologie, en grande partie inconsciemment, bien des idéologies, depuis les monstrueux programmes nazis, manipulent très consciemment, au contraire, des notions scientifiques, ou présentées comme telles, pour asseoir et légitimer des théories politiques et sociales. Non seulement la science n’est pas neutre, mais depuis le XIXe siècle et plus que jamais aujourd’hui, la science est réquisitionnée par les idéologies ; l’idéologie raciste y trouvant ses arguments les plus définitifs.
L’histoire des sciences montre qu’il faut sans cesse à la science s’affranchir de l’idéologie dominante d’un certain moment de son histoire. L’idéologie est donc radicalement différente de la science bien qu’elle cherche à la mimer. Comme l’énonce Patrick Tort : « L’idéologie n’a d’autre tactique que celle qui vise à faire croire à la conformité de ses énoncés avec ceux de la science qu’elle élit momentanément comme point d’appui. C’est-à-dire qu’elle tente constamment de se faire passer pour la science elle-même ou pour un discours au sein duquel la science garantirait l’extension et l’interprétation qu’elle y subit. » Et conclut avec force que l’idéologie naît de l’idéologie et qu’en aucun cas elle ne peut naître de la science.
Lecture
– « De l’idéologie », L’Homme, n°3-4, 1978.
– J. BAECHLER, Qu’es ce que l’idéologie ?, Gallimard, 1976.
– Alain BESANÇON, Les Origines intellectuelles du léninisme, Calmann-Lévy, 1977.
– Claude LEFORT, « L’ère de l’idéologie », Encyclopaedia Universalis, 17, 1973.
– Sergio MORAVIA, Il Framonto dell’ illuminismo, Bari, 1968.
– Patrick TORT, La pensée hiérarchique et l’évolution, Aubier Montaigne, 1983.
Cf. Scientisme.
IDENTITÉ
IDENTITE
« C’est un des caractères distinctifs de la civilisation que l’homme ait la plus grande méfiance envers celui qui ne vit pas dans son milieu et qu’un footballeur, par conséquent, tienne un pianiste (et non point seulement un Germain, un juif) pour être inférieur et incompréhensible. Après tout, l’objet ne subsiste que par ses limites, c’est-à-dire par une sorte d’acte d’hostilité envers son entourage ; sans le pape, il n’y eût pas eu Luther, et sans les païens point de pape ; c’est pourquoi on ne peut nier que l’homme n’affirme jamais aussi résolument son semblable qu’en le refusant ».
Robert Musil,
L’Homme sans qualités, Tome I, 7.
« Nous employons le terme identité dans le sens de la toute première conscience d’un sentiment d’être, d’entité — sentiment qui, à notre avis comprend en partie un investissement du corps par l’énergie libidinale. Ce n’est pas le sentiment de qui je suis, mais le sentiment d’être.
Margaret S. Mahler,
La Naissance psychologique de l’être humain, Payot, 1975, p. 21.
« Il se pourrait que la suraccentuation de la différence entre les « races », les ethnies ou les groupes vienne compenser une déficience de sa propre identité sexuelle (…) souvent, la race méprisée est qualifiée de « femelle » alors même qu’on lui attribue une puissance sexuelle hors du commun ».
J.-B. Pontalis,
« Une tête qui ne revient pas »,
in Le Genre humain, 11, 1984.
HITLER
HITLER Adolf (1889-1945)
HIERARCHIE
HIERARCHIE
HEREDITÉ
HÉREDITE
Dans le petit jardin d’une abbaye de Brno, l’abbé Johann Mendel croise différentes sortes de petits pois. Il publie en 1865 le résultat de ses expériences dans le Bulletin d’Histoire Naturelle de Brno et meurt avant que la communauté scientifique internationale découvre la valeur fondamentale de ses recherches.
Les lois de Mendel permettent de comprendre enfin les mécanismes par lesquels se transmettent les caractères d’une génération à l’autre. Elles impliquent l’existence de particules matérielles (que l’on nommera gènes) qui contrôlent et véhiculent les caractères héréditaires des parents aux enfants. Ce qui est transmis n’est pas un caractère visible mais la moitié du patrimoine génétique de chacun des parents ; soit le gène paternel, soit le gène maternel, au hasard, se trouve à l’origine d’un caractère particulier chez l’enfant né de ce couple. Personne n’a donc le même stock héréditaire. L’idée qu’une même population humaine porte les mêmes caractéristiques est absurde, chaque individu possédant un patrimoine génétique différent.
Mais les gènes seuls ne suffisent pas à assurer la totalité des informations dont l’être humain à besoin pour vivre. C’est l’interaction avec le milieu qui va en permettre la réalisation complète. La transmission par apprentissage, les traditions culturelles, les liens inconscients au réseau familial participent avec le patrimoine génétique à la création de l’être humain. Si les gènes déterminent la capacité à apprendre, les langues par exemple, ils ne sont nullement responsables du choix de la langue ou de tout autre apprentissage particulier. Les caractères culturels forment une gamme extrêmement complexe et étendue qui va du langage aux jeux, des techniques du corps au savoir-faire du pêcheur ou du marin, des coutumes aux croyances, des sports aux arts de la table au choix d’un conjoint ou à l’utilisation d’outils.
La transmission culturelle n’est pas moins prégnante que la transmission biologique et, pour la plupart des traits complexes de l’être humain, il est difficile d’isoler un seul de ces facteurs. Ou comme se le demande Luigi-Lucas Cavalli-Sforza : « Est-ce que la passion pour le goût de la menthe est acquis culturellement ou génétiquement ? » Mesurer l’ « héritabilité » d’un trait particulier reste encore aujourd’hui, malgré les progrès de la science, parfois impossible à déterminer. Un psychophysiologiste canadien, D.O. Hebb, utilise une métaphore frappante pour poser ce problème de la part respective des gènes et du milieu ; cette question lui paraît aussi ridicule que de se demander ce qui explique la plus grande part de la surface d’un rectangle, de sa longueur ou de sa largeur !
Lecture
– Albert JACQUARD, Inventer l’Homme, Complexe, Bruxelles, 1984.
– Gérard VAYSSE et Jean MEDIONI, L’Emprise des gènes et les modulations expérientielles du comportement, Privat, Toulouse, 1982.
Cf. Darwin, Dégénérescence, Génétique.
HAINE
HAINE
« Se refusant à croire que les trois visages qui l’avaient toisé tout à coup dans la nuit avec mépris et fureur n’en voulaient qu’à son argent, il s’abandonnait au sentiment que de la haine s’était coagulée là contre lui et répartie en personnages ; et, tandis que les rôdeurs l’insultaient déjà grossièrement, il se réjouissait à l’idée que ce n’étaient peut-être nullement des rôdeurs, mais des bourgeois comme lui, tout juste un peu ivres, débarrassés des inhibitions encore attachées à sa figure de passant, et qui se d »chargeaient sur lui d’une haine en suspension dans l’air, tel un orage toujours près à éclater, sur lui comme sur n’importe qui d’autre ».
Robert Musil,
L’Homme sans qualités, Le Seuil, tome I, 7,
Traduction de Philippe Jaccottet.
GOBINEAU
GOBINEAU, comte Joseph Arthur de (1816-1882)
Gobineau suscite des passions ; les uns voient en lui le théoricien raciste qui influença Vacher de Lapouge, H.S. Chamberlain, Wagner et Hitler, d’autres justifient ses positions élitistes par son appartenance à la noblesse en perte de pouvoir ; d’autres encore le consacrent écrivain superbe et grand méconnu du XIXe siècle.
Dans son livre Essai sur l’inégalité des races humaines, publié en 1853, Gobineau défend l’idée que seule la race blanche, issue des « Arians », restée à peu près pure jusqu’au début de l’ère chrétienne, possède les « deux éléments principaux de toute civilisation : une religion, une histoire ». Toutes les créations humaines, la science, l’art, n’appartiennent qu’à une seule race : « Point de civilisation véritable chez les nations européennes quand les rameaux aryens n’ont pas dominé ». Sa théorie de la suprématie aryenne, il l’a héritée de la linguistique allemande du XIXe siècle romantique et orientalisant. Avec les développements de la craniologie et de l’anthropologie physique, la linguistique prépare la justification possible de la domination européenne, offre des arguments à toute idéologie élitiste et à tout rêve d’hégémonie de la « race blanche ». Le colonialisme puis le fascisme utiliseront jusqu’à la « solution finale » le concept de « races supérieures » ou « inférieures et cosmopolites ».
Gobineau n’incite pas au meurtre, il est trop « élégant » pour cela ; néanmoins, il est difficile de nier que son Essai soit raciste. Comme le souligne, très finement, Colette Guillaumin, « Mépris et haine ne sont pas nécessairement présents dans le racisme, ils ne sont que des épiphénomènes, de surcroît non obligés, d’une vision essentialiste de l’histoire de l’espèce humaine ».
Gobineau présente certains traits de pensée qu’il partage avec d’autres théoriciens racistes : horreur mortifère de tout processus de changement, vocabulaire de menace, de complot, de souillure et de pourriture, perfection idéalisée du passé ou d’un passé mythique reconstruit, phobie du différent, élitisme narcissique et vision apocalyptique de l’histoire humaine : « L’espèce blanche a désormais disparu de la face du monde. Après avoir passé l’âge des dieux, où elle était absolument pure ; l’âge des héros, où les mélanges étaient modérés de force et de nombre ; l’âge des noblesses, où des facultés, grandes encore, n’étaient plus renouvelées par des sources taries, elle s’est acheminée plus au moins promptement, suivant les lieux, vers la confusion définitive de tous ses principes (…) La part de sang arian, subdivisée déjà tant de fois, qui existe encore dans nos contrées, et qui soutient seule l’édifice de notre société, s’achemine chaque jour vers les termes extrêmes de son absorption. Ce résultat obtenu, s’ouvrira l’ère de l’unité… cet état de fusion, bien loin d’être le résultat du mariage direct des trois grands types pris à l’état pur, ne sera que le caput mortuum d’une série infinie de mélanges, et par conséquent de flétrissures ; le dernier terme de la médiocrité dans tous les genres : médiocrité de force physique, médiocrité de beauté, médiocrité d’aptitudes intellectuelles, on peut presque dire néant » (p. 870). Gobineau imaginait qu’après encore trois ou quatre millénaires, viendrait « le dernier soupir de notre espèce, où le globe, devenu mort, continuera mais sans nous, à décrire dans l’espace ses orbes impassibles… »
Lecture
– Colette GUILLAUMIN, L’Idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Mouton, Paris-La Haye, 1972.
– Léon POLIAKOV, Le Mythe aryen, Calmann-Lévy, 1971.
– Patrick TORT, La Pensée hiérarchique et l’évolution, Aubier Montaigne, 1983.