Presse La Reine Alice : entre Lewis Carroll et le Petit Prince

La chronique de François Busnel Lire/L’Express

Alice au pays du crabe

Par François Busnel, publié le 23/02/2011 à 11:30

Attention, chef-d’oeuvre ! Ce petit bijou de sensibilité et d’intelligence est le livre qu’il faut mettre entre les mains de tous ceux qui, un jour, doivent affronter la maladie, l’hôpital et son cortège de doutes. Lydia Flem, psychanalyste à qui l’on doit des ouvrages sur Freud et Casanova traduits en 15 langues, raconte le face-à-face d’une femme avec le cancer. Ou, plutôt, refuse de le raconter. Car tout est là : alors que tant de témoignages sont publiés, plus ou moins pathétiques, plus ou moins littéraires, plus ou moins utiles, Lydia Flem choisit la forme du conte. La Reine Alice, prodigieux livre d’espoir et de joie, est à ranger entre Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll (auquel tout rend hommage, ici), et Le Petit Prince, de Saint-Exupéry.

Une fiction, donc, pour dire la réalité, la terrible réalité du cancer. Bien sûr ! Se découvrir une tumeur (avez-vous remarqué le son et le sens de ce mot, tumeur… ou « tu meurs » ?), c’est passer de l’autre côté du miroir. Comme Alice chez Lewis Carroll. Le cancer, un pays des merveilles ? Là, Lydia Flem en fait un peu trop. Provocation ? Non, pas si l’on accepte de considérer que la maladie n’est pas l’opposé de la santé, mais que toutes deux forment un système sans cesse en mouvement, l’une contrebalançant l’autre à chaque instant, « comme si elles exécutaient un tango ». Quelques philosophes au style simple et direct nous l’ont dit, déjà : Epicure, Sénèque. Se souvenir de leurs leçons. Et, les relisant, se bricoler sa philosophie personnelle, où la joie, ce grand remède, viendra compenser la dégradation du corps. La maladie se produit-elle à notre insu ou y avons-nous participé ? Ce conte n’est pas un traité. Alice, malade, est un pion. Autour d’elle, les aides-soignants et les infirmiers sont des trolls ou des vers à soie, on croise les avatars du Lapin blanc et de la Reine rouge, un Docteur Home (et non Docteur House) dont l’ordonnance est simple : une page de Proust, à prendre tous les soirs avant de se coucher. Il y a une élégance folle dans ces pages, et un bel humour. La preuve, surtout, que la fiction est, dans un monde où la réalité prend le masque du cancer, le plus beau et le plus efficace moyen de mettre la mort à distance. Comment ? Relisez l’histoire de Shéhérazade, racontant mille et une nuits durant de superbes fictions à celui qui prétendait la mettre à mort lorsque l’aube poindrait…

François Busnel

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