Angoisse devant l’étranger

ANGOISSE DEVANT L’ÉTRANGER

Les psychanalystes reconnaissent chez le nourrisson, autour du huitième mois, une peur passagère et habituelle, provoquée par la perception du visage d’un inconnu, d’un  étranger.

Jusque là, le bébé vivait en symbiose avec sa mère (ou toute personne qui s’occupe de lui en permanence depuis sa naissance) et il souriait volontiers à tout visage humain qui se penchait vers lui. Le petit d’homme est une être inachevé, immature, incapable de subvenir seul à ses besoins. Sa survie dépend totalement des soins et de l’attention qu’un adulte voudra bien lui prodiguer ; cette dépendance émotionnelle l’attache à la personne source de son plaisir et de son déplaisir. Au début de sa vie, le nourrisson se trouve plongé dans un état d’indifférenciation, de toute-puissance hallucinatoire et de fusion avec l’adulte maternant, situation dans laquelle le « je » ne se démarque pas encore du « non-je », le dehors du dedans.

Petit à petit, il émerge de cette symbiose et différencie son corps de celui de sa mère grâce aux traces mnésiques des allées et venues de celle-ci et des expériences de satisfaction qui y sont liées. Il peut alors anticiper avec confiance le soulagement qu’elle apporte à ses besoins.

Au fur et à mesure qu’il devient capable de percevoir la séparation entre lui et l’autre, il peut craindre de perdre la présence maternelle et surtout de perdre son amour.

Lorsqu’un inconnu s’approche de lui, le bébé se trouve déçu dans son désir d’avoir la présence de sa mère. L’angoisse qu’il manifeste alors n’est pas liée au souvenir d’une mauvaise expérience avec un étranger mais à la perception d’une différence par rapport aux souvenirs de sa mère. Cette crainte l’agite chaque fois que celle-ci s’absente ou ne répond pas assez rapidement à ses attentes et ses désirs. La difficulté à patienter, la rancune et même la haine qu’engendre le sentiment de frustration éveillent ses pulsations destructrices. Pour préserver son unité et éviter un conflit avec son « bon objet » maintenant, il va projeter cette agressivité très menaçante, il va la prêter à autrui et particulièrement à tout « autre-que-la-mère » à toute personne qu’il ne reconnaît pas comme familière.

En retour, c’est cet étranger qui va lui apparaître hostile, dangereux, démoniaque et prêt à user de représailles à son égard. Cet « objet persécuteur » est investi de tous les fantasmes de destruction, de toutes les attaques hostiles : empoisonnement, explosion, souillure, anéantissement,… Projetés sur autrui, devenu le miroir de ses propres pulsions, ces mouvements de rage et de colère ne paraissent plus appartenir au « persécuté » mais être nés chez le « persécuteur », ce qui autorise en toute bonne foi une réaction agressive de défense contre cette « intrusion extérieure » qui menace la fragile identité de l’enfant.

Certaines études semblent montrer que cette réaction d’angoisse est moins intense chez les bébés qui ont reçu de leur mère, dans la phase symbiotique, une provision suffisante de confiance et une narcissisme primaire suffisamment solide.

Cette « angoisse du huitième mois », provoquée par la perception soudaine d’un visage inconnu, signe de l’absence de la mère, fait partie d’un développement sain  et nécessaire. Elle signe l’établissement et la reconnaissance de l’objet « mère » comme partenaire humain privilégié et non interchangeable. Dorénavant, l’enfant sait qu’il est lui et qu’il peut perdre ceux qu’il aime et dont il désire la présence. Il découvre le temps et sa durée mais, petit à petit aussi, la possibilité d’imaginer, de rêver, d’évoquer de bon souvenirs pendant l’absence de son objet d’amour et cette absence devient moins angoissante, moins « persécutrice ». Il sait que sa mère va revenir, il a appris à patienter, à trouver du plaisir par lui-même, à s’intéresser à mille choses, à ne pas perdre confiance. Il intériorise l’objet, il est devenu capable de le recréer à l’intérieur de lui-même.

Il devient lentement possible d’unifier, ou du moins d’apprendre à tolérer, l           coexistence de pulsions contradictoires — amour et haine — et d’atténuer le processus de clivage qui séparait l’ « objet persécuteur », la bonne fée de la sorcière ou du diable.

Néanmoins, le développement humain semble ne jamais s’achever complètement et pouvoir sans cesse revenir sur ses pas ou rester infiltré de mécanismes anciens. Ce processus de nature persécutive peut se réveiller tout au long de la vie, chaque fois que des circonstances angoissantes, intérieures ou extérieures, dépassent les capacités à réagir face au difficultés et suscitent une vive intolérance à la frustration et aux affects destructeurs qu’elle fait naître. Alors, la tentation de rendre responsable un bouc émissaire peut réapparaître. Et la peur d’un persécuteur imaginaire (Barbare, juif, Gitan, sorcier, colonisé, immigré…) provoque alors en retour persécutions et violences racistes.

Lecture

–       Lydia FLEM « Les liens du regard » in Le Genre Humain, n°3-4, 1982.

–       Margaret S. MAHLER La Naissance psychologique de l’être humain. Payot, 1980.

–       Francis MARTENS, « Entre chien et loup. Le carré raciste » in Le Genre Humain. N°2, 1982

–       Hanna SEGAL, Introduction à l’œuvre de Mélanie Klein. PUF 1969.

–       René A. SPITZ, De la naissance à la parole, PUF, 1968.

Cf. Autre, bouc émissaire, Envie, Projection, Sorcellerie

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